Pourquoi tous les habitants du pays d'Oz sont-ils aussi foncièrement mesquins, imbus d'eux-mêmes et désagréables?
Pourquoi tous les personnages d'adolescents sont-ils campés par des interprètes bien avancés dans leur trentaine?
Pourquoi personne au pays d'Oz ne voit aucun problème à ce que des animaux sauvages agissent comme médecin et infirmières lors d'un accouchement, mais, à l'opposé, presque tout le monde semble avoir un problème avec le teint verdâtre de l'enfant qui vient de naître?
« Des fois, vaut mieux ne pas être conscient, et rester heureux », disait jadis l'un des personnages de François Pérusse.
De sages paroles qui s'appliquent à cette première de deux parties de l'adaptation de la comédie musicale Wicked.
Car le (très) long métrage exige effectivement que vous ne vous posiez pas trop de questions quant aux rouages d'un récit plus troués qu'un fromage suisse, dévoilant ce qui se tramait « réellement » sous l'intrigue de l'intemporel Magicien d'Oz. Vous savez, question d'atténuer une fois de plus la cruauté d'une méchante sorcière en pointant du doigt un problème beaucoup plus large...
Si vous êtes capable de faire fi des innombrables facilités du scénario, et de rester assis confortablement pendant 160 minutes avec votre sac de bonbons et votre boisson gazeuse (rappelons que, dans sa totalité, la production de Broadway ne s'étale que sur 150 minutes), vous découvrirez qu'il y a tout de même beaucoup à apprécier du spectacle exubérant signé Jon M. Chu.
Déjà, le choix du réalisateur a de quoi surprendre. Malgré ses affinités avec la musique et la danse, Jon M. Chu n'a pas la feuille de route la plus impressionnante pour rassurer quiconque lui aurait proposé les rênes d'un mandat aussi colossal.
Wicked : Première partie débute au moment de l'annonce de la mort d'Elphaba (Cynthia Erivo), la méchante sorcière de l'Ouest dans Le magicien d'Oz. Glinda, la gentille sorcière du Sud (Ariana Grande) est alors appelée à raconter leur première rencontre à l'académie Shiz (pire nom d'école de l'Histoire?), leurs prises de bec, leur dédain mutuel, puis la naissance de leur grande amitié. Le tout menant à un entretien avec le puissant magicien d'Oz (Jeff Goldblum) qui sera déterminant pour leur avenir respectif.
Difficile d'imaginer production ayant été plus conçue pour un « auditoire moderne », avec tout ce que cela implique en termes de sensibilités, d'importance accordée à l'identité, de traitements contradictoires, et d'effets d'entraînement. Mais les scénaristes se permettent aussi quelques savantes pointes d'ironie.
D'un point de vue formel, le réalisateur de Crazy Rich Asians propose des chorégraphies orchestrées de façon aussi dynamique et inventive qu'entraînante, des numéros musicaux livrés avec fougue et aplomb, des moments dramatiques poignants, ainsi qu'une quantité non négligeable d'images d'une beauté éblouissante.
Pour ce qui est de l'interprétation, les deux têtes d'affiche livrent amplement la marchandise en plus de se compléter admirablement l'une et l'autre à l'écran. Ariana Grande étonne, d'ailleurs, de par l'efficacité et la précision de son jeu comique. Connaissant la profonde admiration de l'artiste pour le spectacle d'origine, celle-ci peut certainement dire : « Mission accomplie ».
Comparativement à ce que la mise en marché du film pouvait laisser croire, Wicked : Première partie n'a pas peur de jouer la carte de la comédie et de l'autodérision, et ce, d'une manière aussi instinctive que bien dosée.
Ceci étant dit, la trame narrative du film repose un peu trop sur des éléments dramatiques peu consistants, introduits trop rapidement ou mal développés, mais que le scénario colle tout de même bien à un contexte baignant dans les bassesses et le narcissisme que nous associons généralement à l'adolescence.
À 160 minutes, nul doute que le résultat final aurait pu être resserré davantage afin d'éviter certaines redondances. Wicked : Première partie demeure néanmoins toujours énergique et bien rythmé, même durant les séquences où la progression de l'intrigue apparaît plutôt secondaire.
Porté par une direction artistique de haut niveau, des effets numériques majoritairement convaincants et moins envahissants que prévus, et un trio d'interprètes - complété par Jonathan Bailey - dans une forme spectaculaire, Wicked : Première partie tient ses promesses.
Les fans seront comblés, des sceptiques seront confondus, mais les plus réticents ne seront probablement pas plus convaincus.
Au final, Jon M. Chu et ses acolytes savaient pertinemment ce qu'ils avaient à faire et à quelle audience ils s'adressaient. Et à l'instar de leur protagoniste, ces derniers n'ont pas cherché à faire de compromis ou à dénaturer le matériel d'origine pour tenter de rejoindre un autre public. Une détermination et une vision qui imposent le respect, et dont certains studios pourraient définitivement tirer quelques leçons...