Un drame épique - au sens ambitieux du terme - d'une durée de 220 minutes, consacré à un architecte brutaliste d'origine hongroise et juive et à l'imposant projet auquel il s'est dévoué corps et âme pendant des années après avoir pu échapper aux horreurs de la Deuxième Guerre mondiale...
Tout va bien, monsieur Corbet?
Désolé, nous devions poser la question...
Le simple fait que The Brutalist ait pu voir le jour est déjà un miracle en soi. Que le réalisateur Brady Corbet ait pu aller au bout d'un tel projet, filmer en VistaVision par-dessus le marché, et ce, pour moins de dix millions de dollars est aussi tout un exploit.
L'une des premières séquences du film est d'ailleurs absolument renversante (littéralement, même), alors que le personnage de László Tóth (Adrien Brody) émerge des ténèbres de la cale d'un bateau pour jeter son tout premier coup d'oeil sur la statue de la Liberté après un long et éreintant voyage en mer.
À partir de cette renaissance symbolique, The Brutalist trace le portrait du nouvel arrivant au coeur du « Land of Opportunity ». Des pires recoins des rues de New York jusqu'au magasin de meubles d'un cousin dont le rêve américain a pris racine en Pennsylvanie, ce nouveau chapitre s'annonce comme tout sauf un long fleuve tranquille pour le survivant.
Après avoir vécu pendant un long moment sous le seuil de la pauvreté, l'immense talent de László est remarqué par l'homme d'affaires Harrison Lee Van Buren Sr. (Guy Pearce), qui l'engage pour bâtir un immense complexe multifonctionnel à la mémoire de sa défunte mère.
Le brutaliste est un récit sur l'acharnement, l'obsession et la dépendance, que Brady Corbet illustre de manière très directe de par le rapport de son protagoniste aux drogues dures, et plus abstraite pour ce qui est de l'importance accordée à la mémoire et au legs, ainsi qu'à la quête insatiable du beau.
Le cinéaste impose d'ailleurs adroitement ces sujets en réaction aux massacres et à la destruction survenus sur le continent européen. Davantage présente en arrière-plan durant la première moitié du film, ceux-ci deviennent beaucoup plus tangibles à la suite de l'arrivée de l'épouse de László (interprétée par Felicity Jones).
Défendant à l'écran cette étude d'un personnage complexe avec autant de convictions que de maniérisme, Adrien Brody mérite définitivement tous les éloges reçus depuis les débuts du film, dans le cadre de la plus récente Mostra de Venise. Un homme dont le parcours professionnel était motivé par la création d'une oeuvre qui saurait résister aux conséquences des pires facettes de l'humanité.
Si les comparaisons entre le travail de mise en scène de Brady Corbet et l'oeuvre de Paul Thomas Anderson finissent par s'imposer d'elles-mêmes, nous pourrions décrire The Brutalist comme un improbable croisement entre l'implacable rigueur de There Will Be Blood et le caractère beaucoup plus volatile de Punch-Drunk Love.
Le réalisateur de Vox Lux oscille constamment entre une approche on ne peut plus classique et des impulsions résolument modernes, renforcées par l'extraordinaire bande originale de Daniel Blumberg, qui mélange et enchaîne compositions pesantes et imposantes et airs jazz mélancoliques.
Tout ici est articulé pour exprimer cette idée de grandeur, et surtout cette volonté d'atteindre les plus hauts sommets, et ce, tout en étant pleinement conscient du caractère imprévisible de l'expérience humaine.
Évidemment, la durée exhaustive de The Brutalist pourrait en rebuter plus d'un. Mais le (très) (très) long métrage fait bon usage de chaque image qu'il déploie à l'écran. La première partie, en particulier, s'impose comme un crescendo créatif enivrant, nous laissant sur la plus haute note imaginable juste avant l'intermission.
Sans nécessairement se corser, la deuxième moitié se révèle moins cadencée, alors que Corbet et ses acolytes enchaînent les variations d'intensité dramatiques tout en marquant davantage de pauses.
Au final, The Brutalist est à l'image du temple que son protagoniste désire achever : massif, imposant, mais aussi légèrement insaisissable et complètement démesuré (dans le meilleur sens du terme). Un accomplissement phénoménal dont la constante prise de risques ne peut qu'inspirer le respect.
Une oeuvre aussi rigide que délicate, droite et tranchante que sinueuse, sublimement incarnée et mise en images.