J'amorcerai ma critique d'aujourd'hui par une révélation choquante et scandaleuse (pour tout critique qui se respecte) : je n'ai pas été bouleversée, ni transportée par The Tree of Life (c'est le moment de vous indigner). Parce que, avouons-le, si un critique veut être respecté par ses pairs et autres érudits du monde du cinéma, il ne peut pas se hasarder à dénigrer le travail de Terrence Malick. Je n'irai pas jusqu'à dévaluer le réalisateur américain - c'est l'un des meilleurs techniciens du septième art - mais, comme Melancholia de Lars von Trier et The Tree of Life de Terrence Malick seront inévitablement comparés (pour les prix qu'ils ont remportés à Cannes, pour leur sujet similaire - et à la fois contraire - et pour leur aspect très contemplatif, méditatif), je me devais de préciser d'emblée que les chefs-d'oeuvre ne sont pas toujours unanimes.
Pour sa structure plus serrée, ses personnages mieux définis (quoique très symboliques) et ses images emblématiques, je crois avoir préféré la fin du monde du Von Trier au big bang de Malick (encore un endroit propice pour vous révolter contre moi). Les premières minutes de l'oeuvre (comme c'est le cas également dans The Tree of Life) sont muettes; des personnages bougent excessivement lentement au coeur d'images fixes. Des plans magnifiques et - surtout - troublants qui ne peuvent laisser personne indifférent. L'histoire - divisée en deux parties - s'enclenche officiellement par la suite. On assiste tout d'abord au mariage de Justine, une jeune femme que l'on croit d'abord simple et rieuse, mais qui se révèle profondément troublée et défaite par une existence sur Terre en laquelle elle ne croit plus. Kirsten Dunst est époustouflante. Elle mérite irrémédiablement le prix qu'on lui a attribué sur la Croisette en mai dernier. Sa complice à l'écran, Charlotte Gainsbourg, est tout aussi renversante. Son personnage, plus équilibré et rationnel que celui de Dunst, nous amène à nous identifier à lui, à partager son inqualifiable détresse.
L'image (magnifique) où l'on voit Kirsten Dunst étendue dans l'eau dans sa robe de marié, un bouquet de fleurs à la main est inspiré d'une peinture de John Everett Millais qui représentait l'ultime instant avant la mort. Plusieurs plans fixes du film nous rappellent d'ailleurs des tableaux tant ils sont photographiques et évocateurs. La texture de l'image, parfois irréelle, et la musique classique entraînent le spectateur dans un état contemplatif. Le tremblement de la caméra joue également un rôle dans l'aspect méditatif de l'oeuvre. Il engendre une précarité supplémentaire à ce film pour le moins déstabilisant, où on est témoin de quatre réactions opposées à la fin du monde; l'insouciance, la panique, la capitalisation et l'acceptation.
Le film pourrait aisément se comparer à un poème; une oeuvre lyrique profitable qu'à ceux qui savent le décrypter et se l'approprier. Jonglant entre un onirisme obscur et un récit cohérent, Melancholia s'adresse à un public averti conscient de la dimension chimérique de la production et ses intentions idéologiques. Le long métrage ne fait définitivement pas partie des « feel good » movie que l'on choisit pour se remonter le moral, pour se détourner de nos soucis. C'est même plutôt une oeuvre qui accable et déprime, mais elle le fait avec tellement de sincérité et d'arrogance à la fois qu'on ne peut qu'être charmé et déconcerté. Melancholia nous amène, même contre notre gré, à regarder le ciel avec des yeux neufs, plus cyniques et d'autant plus mélancoliques.