S'attaquer à Maria Chapdelaine au cinéma n'est pas une tâche aisée. Le pan historique du récit, les tournages extérieurs, de nuit, l'hiver, les animaux, les enfants... nous sommes bien loin de l'environnement contrôlé d'un studio. Sébastien Pilote s'est lancé tout un défi en travaillant à adapter ce roman du terroir de Louis Hémon (précédemment porté à l'écran par Gilles Carle en 1983), étant loin de se douter qu'une pandémie mondiale allait lui mettre d'autres bâtons dans les roues.
Malgré tout, on peut dire que sa persévérance et sa résilience auront porté leurs fruits puisque son oeuvre est éblouissante, ni plus ni moins. D'abord, le réalisateur a su nous rendre crédible ce retour dans le temps, à l'époque de la colonisation. Les lieux sauvages où s'est installée l'équipe (à Normandin, au Saguenay-Lac-Saint-Jean) sont pittoresques à souhait. La caméra de Pilote nous propulse au début du 20e siècle avec une élégance et une certaine candeur. Sa photographie, ses images plus grandes que nature, représentent certainement l'une des plus grandes forces de cette fresque historique. On ne peut qu'être ébahis par ses prises de vue renversantes et la direction artistique sans faille. La qualité des décors et des costumes contribue assurément à la purement de l'ensemble.
Pour ce qui est de l'histoire, on la connaît. Maria Chapdelaine doit choisir entre trois prétendants : le coureur des bois intrépide, le vaillant colon et le citadin nanti. Le film, tout comme le livre, brosse également un portrait attendrissant d'une famille tissée serrée, dont tous les membres mettent la main à la pâte afin de se prévaloir de leur petit lot de terre. On ne peut pas dire qu'il y ait beaucoup d'action ou de rebondissements dans Maria Chapdelaine. On dépeint le quotidien d'une famille ordinaire, vouée à un destin tranquille. Malgré tout, il y a quelque chose qui nous fascine suffisamment dans cet « ordinaire » d'une autre époque pour qu'on reste suspendu aux lèvres roses de Maria Chapdelaine pendant 2 h 40.
D'ailleurs, on doit dire que Sara Montpetit, interprète de Maria, a quelque chose d'assez hypnotisant. Elle parle très rarement dans le film, mais son silence est tapageur. Ses yeux (qu'on voit souvent de près en raison des nombreux gros plans) nous en disent beaucoup. La jeune actrice forme un duo efficace avec Sébastien Ricard, qui incarne son père. La meilleure scène du film, alors que Samuel rattrape sa fille qui s'enfuit dans la neige, pieds nus, en pleine nuit, nous vient d'ailleurs de ce tandem bien assorti. Si les dialogues poétiques ne résonnent pas de façon aussi naturelle dans la bouche de tous les acteurs, la plupart se débrouillent relativement bien avec ce langage chantant.
Maria Chapdelaine vaut la peine d'être vu sur grand écran. Cette somptueuse adaptation mérite un traitement cinématographique; sur un téléviseur plasma 42", on perd définitivement une part de raffinement que cette oeuvre impose. Pour les amateurs de drame historique, c'est un incontournable.