James Gray est un des plus grands réalisateurs américains en activité. Après quelques créations extrêmement ambitieuses comme Ad Astra et The Lost City of Z, il revient à un cinéma intimiste dans la veine des films qui ont fait sa renommée.
Armageddon Time est sans doute son long métrage le plus personnel à ce jour, s'inspirant de son enfance dans les années 1980 dans le quartier de Queens de New York. Le jeune Paul (Banks Repeta) n'est pas le meilleur élève à l'école, subissant l'influence parfois néfaste de son camarade de classe afro-américain (Jaylin Webb). De quoi faire fulminer ses parents juifs, qui décident de l'envoyer dans un collège privé.
La première partie de l'ouvrage laisse craindre le pire. À ce récit d'apprentissage ultra classique et à cette chronique nombriliste où les souvenirs apparaissent à des fins nostalgiques. On n'a qu'à penser, avec plus ou moins de succès, à la trilogie 1981/1987/1991 de Ricardo Trogi ou, plus récemment, au Belfast de Kenneth Branagh. En espérant que Steven Spielberg ne passe pas par là avec The Fabelmans qui doit bientôt prendre l'affiche...
Le résultat est tout autre. L'homme derrière les magistraux The Yards et We Own the Night brosse plutôt un portrait féroce de la société américaine, traitant à la fois de racisme et de classes sociales. Tout ce qui arrive peut d'ailleurs être extrapolé à des fins politiques. Le malaise ne s'installe donc pas entre quelques individus, mais il contamine le système tout entier. Pas surprenant que l'effort se déroule à la veille de l'ascension de Ronald Reagan à la présidence, qui allait plonger les États-Unis et le monde dans le néolibéralisme barbare qui sévit encore aujourd'hui. Un rêve américain qui va droit dans le mur, à l'image de celui du majestueux The Immigrant.
Ce temps de l'Armageddon prend la forme d'une cellule familiale qui tend à se fissurer: les enfants se détournant des valeurs de leurs parents. Comme toujours chez Gray, le noir et blanc n'est pas de mise : c'est le gris qui mène le mal, jouant à l'élastique avec la moralité. Cela donne des moments inoubliables, comme ce dernier acte magistral où le comportement d'un père envers son fils en mauvaise posture donne froid dans le dos. Quelques échanges peuvent sembler plus appuyés (le grand-père semble souvent faire la leçon), mais rien pour entraver la puissance du scénario et l'éloquence des dialogues.
Le tout est desservi par des acteurs en pleine possession de leurs moyens. Comme c'est souvent le cas dans ce type de proposition, c'est le jeune héros qui laisse le plus indifférent tant il manque de charisme. On lui préférera sa mère jouée avec sensibilité par Anne Hathaway, son grand-papa incarné par le toujours touchant Anthony Hopkins et, surtout, son père, dont Jeremy Strong livre une performance absolument admirable. Jessica Chastain fait une apparition remarquée dans la peau de Maryanne Trump, soeur aînée de Donald Trump.
Même sur un mode minimaliste et faussement académique, le cinéma de James Gray hante allègrement. Il dégage une tonne d'émotions par l'entremise de son thème musical, qui n'est pas sans rappeler celui de Two Lovers. Puis il y a la photographie exceptionnelle de Darius Khondji qui éblouie constamment la rétine, rendant plus vraie que vraie la riche reconstitution historique.
Armageddon Time n'est peut-être pas le film américain le plus spectaculaire de l'année, mais il est assurément un des plus réussis et évocateurs du monde dans lequel on vit.