Ah, ce cher Pedro! L'enfant prodige du cinéma espagnol (qui a quand même plus de 30 ans d'expérience) est un auteur fidèle à ses obsessions, à son humour mordant et à ses actrices. C'est aussi un réalisateur parfois maniéré qui a ses moments moins inspirés, en particulier lorsqu'il n'est pas frappé par la grâce d'une grande performance d'actrice ou d'un récit autobiographique incomparable. Il démontre, avec son récent La piel que habito, ce qui fait à la fois son talent unique et ses désagréables défauts. Car il faut le dire, les 45 premières minutes de ce film sont certainement les plus ennuyantes jamais tournées par Pedro, avec leur humour burlesque ridicule et leurs acteurs maladroits manquant de cohésion. Erreurs de tons, fautes de goût, on voit vraiment le pire de Pedro.
Heureusement, les choses n'en restent pas là, et tout le monde - Pedro le premier - trouve enfin ses marques dans cet univers quasi-futuriste où un chirurgien plastique expert, obsédé depuis les morts tragiques de sa femme et de sa fille, fait dévier les obsessions d'identité sexuelle, de trahison et de famille du réalisateur, vers un récit réunissant film d'horreur, film d'amour et drame psychologique. Plus le récit se complexifie, plus il est stimulant, enivrant, et jusqu'au dénouement on suit avec empathie le destin de gens affreux (même s'ils sont beaux) et/ou désespérés. Cette fine ligne d'émotion est difficile à trouver et il faut savoir apprécier une telle stimulation au cinéma.
Le récit est imprévisible et provocateur, et les acteurs, Antonio Banderas en tête, trouvent enfin le ton qui convient à ce récit impossible, atteignant des sommets de complexité mélodramatique. Le récit est suffisamment chargé et choquant pour mettre en relief le commentaire de l'auteur et pour manipuler les conceptions de bonheur au cinéma.
Le réalisateur, enfin en pleine possession de ses moyens, semble véritablement s'amuser dans la deuxième moitié du film. On ne peut s'empêcher de rire avec lui en voyant réinventer le mythe de la femme fatale, jouer avec les codes et manipuler les attentes du spectateur. On se laisse faire de bon coeur, parce que c'est lui, Pedro, et qu'il n'est à nul autre pareil, un réalisateur si unique, si incomparable qu'on se permet même de le tutoyer. Il est ici fidèle à lui-même, farceur, provocateur, et un conteur extraordinaire.
C'est la marque des grands réalisateurs que de maîtriser ainsi quelques idées fortes, des obsessions centrales qui tapissent leur oeuvre en entier. Cependant, il faut éviter de tomber dans le vulgaire pastiche de soi-même, dans la redite et la répétition simpliste. Pedro n'est pas à l'abri, bon nombre de ses personnages féminins - et c'est tout particulièrement le cas ici - ne sont plus que des parodies de mères, tandis que ses obsessions ne sont plus que des blagues peu inspirées. Heureusement, le thème central de l'identité sexuelle trouve le récit parfait pour s'épanouir, et permet à La piel que habito d'éviter l'échec.