Pour son quatrième long métrage, le réalisateur québécois Louis Bélanger tourne ses caméras de l'intimité familiale vers le Canada et ses grands espaces. Perdus (mot particulièrement évocateur ici) dans l'immensité du territoire, ses personnages ont une quête géographique (de survie), mais aussi morale, une quête de justice. On n'a d'autre choix que de convenir, suite au visionnement de The Timekeeper, que l'un nuit grandement à l'autre. Et inversement.
Suite au décès de son père, qui lui a inculqué de forts principes moraux, Martin Bishop décide de s'engager dans un compagnie qui doit terminer le chemin de fer au nord du Canada. La tâche est colossale : 52 miles de rails en 52 jours. Sous les ordres d'un contremaître autoritaire, Fisk, Bishop doit soumettre ses valeurs à l'intransigeance du camp. Pris à parti par Fisk, Martin est expulsé du camp. Avec l'aide des autres exclus, il va tenter de rejoindre la civilisation afin de sauver sa vie. Mais Fisk est bien décidé à rattraper les vandales qui ralentissent son chantier.
Construit assez maladroitement sur un flashback un peu faible émotivement, le film démarre de manière assez convenue; le jeune premier arrive sur un chantier où il ne connaît personne et où les règles lui sont imposées. Son idée de justice, assez rapidement esquissée, n'est jamais transcendante ou divine, ce qui transpose toute l'émotion du côté de la survie. La question n'est plus : la morale sera-t-elle respectée? mais plutôt : survivra-t-il? Le récit passe ainsi de l'universel à l'anecdotique, au ponctuel, ne concernant que ce personnage qui dort dur (à se faire casser une fenêtre dessus sans s'éveiller) mais qui est pourtant à l'affût de tous les bruits de la forêt. Ce personnage qui, par miracle, réussit à amadouer le chien que tout le monde craint. Des accrocs qui sentent le compromis scénaristique.
Film hybride, The Timekeeper semble incomplet. On ne va pas au bout des notions complexes que l'on aborde, en forçant quelque peu le bon déroulement du film, de l'élément déclencheur et des péripéties (des notions théoriques qui ne sont pas toujours nécessaires), alors que le film aurait pu se consacrer aux notions de bien et de mal. Ou à la notion de survivance, ça n'aurait pas été plus mal, puisqu'on voit bien que Bélanger filme avec compétence l'un et l'autre.
Mais justement, on ne se voue pas suffisamment à l'un ou à l'autre, et sans explication rationnelle, les conflits moraux assez bien placés par le récit (la cause de la mort d'un vieillard alcoolique, par exemple), trouvent dans le dénouement un écho digne des intentions et des possibilités de cette histoire. Une histoire techniquement audacieuse mais alourdie inutilement par la musique, qui peut compter sur quelques comédiens de talent (Stephen McHattie, fascinant, et Craig Olejnik, convaincant). Les autres, pourtant, s'avèrent peu crédibles, particulièrement dans leur évolution psychologique précipitée.
Dans ces paysages de paradis, la notion de Bien et de Mal, artificiellement appuyée, ne trouve pas l'écho espéré venant d'un cinéaste de l'intime comme Louis Bélanger qui s'ouvre à la grandeur bucolique de la diversité des notions de justice. Ce qui est « bon/bien » et ce qui est « mauvais » n'est souvent que présomption, la base d'une réflexion pouvant mener plus loin. Cela fonctionne aussi avec le cinéma - un « bon » film est nécessairement le « mauvais » film de quelqu'un - mais de plaquer l'idée sans compromis est un piège bien pernicieux. Il faut donc avouer que The Timekeeper semble être ni l'un, ni l'autre.