Il ne suffit pas d'avoir une bonne idée et d'engager de brillants acteurs pour faire un film de qualité (c'est un point de départ intéressant certes, mais d'autres conditions sont nécessaires, même essentielles, à la réussite d'une production cinématographique). Il est fondamental, en début de projet, de se questionner à savoir si le cinéma est effectivement le médium approprié pour développer son sujet, le rendre accessible et attrayant pour la population. Dans le cas de L'enfant prodige, cette réflexion n'a définitivement pas été faite avec grand discernement, puisque le sujet - la vie de l'un de nos plus grands compositeurs québécois, mort dans l'oubli – nous apparaît trop tôt comme lourd et stérile. Un album ou un spectacle hommage, une émission spéciale, une série télévisée, un reportage culturel auraient sûrement été plus adaptés - et considérablement moins onéreux (le long métrage avait un budget de 6 millions $).
Le jeune André Mathieu, un compositeur de neuf ans, impressionne tout le monde lorsqu'il se met à jouer du piano. Pour améliorer son art, son père décide de déménager à New York pour que son fils puisse bénéficier de la meilleure éducation possible. Lorsque les administrateurs de l'école Juilliard refusent de prendre en charge toute la famille, ils s'envolent alors vers la France où le jeune prodige a un immense succès. Malheureusement, la famille Mathieu doit revenir à Montréal à cause de la guerre. André Mathieu vieillira et son succès ne deviendra rapidement qu'un souvenir.
Le film s'engage dès les prémisses dans une avenue très musicale, voulant nous démontrer toutes les aptitudes du pianiste, la qualité de ses compositions, l'étendue de son talent. Jusqu'ici rien n'est impardonnable, mais rapidement la musique est imposée au public comme d'un dialogue secondaire, elle ne se s'arrête jamais. Le principe est peut-être intéressant, mais le résultat est déplorable. Les airs classiques, joués sans relâche, finissent par nous écoeurer, nous déranger, alors qu'ils devraient idéalement nous émouvoir (comme était parvenu à faire Amadeus dans les années 80). Des scènes de plusieurs minutes, avec en visuel un montage - horrible - montrant les mains du pianiste, son public, le chef d'orchestre et toutes ces choses superflues qui l'entourent, exposent le talent prodigieux d'André Mathieu en faisant stagner inutilement le récit. Si ce n'était qu'un passage, ce ne serait qu'un moindre mal, mais ces moments lambins ne cessent d'interrompre le cours de la narration. La question inévitable à se poser : peut-on reprocher à un film musical de l'être trop? Oui, tout comme on peut le faire avec un film d'action ou d'horreur. Tout est une affaire de dosage.
Les acteurs, avec leur talent reconnu et leur sens du drame, auraient pu sauver la production du désastre, mais leur performance théâtrale rend l'expérience inaccessible. Ce style de jeu supérieur, « classique » (peut-être le lien est-il ici?), est un choix osé, inhabituel pour une biographie puisqu'elle devrait normalement nous familiariser avec le sujet et non pas nous en écarter. Marc Labrèche et Patrick Drolet donnent tout de même une performance très respectable, très technique, qui cadre avec l'esprit puritain du long métrage.
Le film de Luc Dionne s'avère tristement être une suite de mauvais choix, une oeuvre qui semble s'adresser à une sommité (mais laquelle?) et qui, voulant impressionner, repousse de plus en plus son public. L'art, qu'il soit musical, cinématographique, littéraire ou plastique, a une faculté d'entraînement, un pouvoir de séduction remarquable, mais, comme toute chose, abstraite ou non, lorsqu'il est traité avec inconsistance, il est rarement suffisant.