Après Aurore, en 2005, Luc Dionne s'intéresse, pour ce deuxième film, à un sujet qui lui tient particulièrement à coeur : la musique, par le truchement de la vie du compositeur québécois André Mathieu, décédé dans l'oubli en 1968. Une oeuvre musicale méconnue, qu'il s'agissait de faire connaître par la voie du cinéma. Un objectif clair et assumé. Alors, L'enfant prodige atteint-il son objectif? Oui, absolument. Tout à fait. Le cinéma est un art populaire qui rayonne davantage que pratiquement tous les autres réunis grâce à la virtuosité de son marketing (rarement à cause de sa qualité). Un disque d'André Mathieu édité et vendu dans les magasins de disques n'aurait pas eu l'exposure dont profitera ce film baigné de musique. Alors oui, Luc Dionne atteint son objectif. Mais était-ce un objectif valable?
Démontrant un véritable don pour le piano dès son jeune âge, le pianiste québécois André Mathieu se rend à Paris afin de poursuivre sa formation et de parfaire sa technique. Rencontrant les meilleurs professeurs, il est cependant contraint de rentrer en Amérique à cause de la guerre. À New York, où il poursuit sa formation, il impressionne encore les plus grands. Pianiste de talent, Mathieu veut pourtant être reconnu comme compositeur. À l'âge adulte, aux prises avec un grave problème d'alcool et une mère possessive, Mathieu essaie de terminer sa Rapsodie romantique, mais il n'est plus le prodige qu'il était étant enfant.
Devant l'ampleur de la - néanmoins courte - vie d'André Mathieu, L'enfant prodige essaie de se placer au-delà de toutes les considérations dramatiques pour mettre la musique à l'avant-plan. Le récit est donc relativement simple, et les personnages particulièrement stéréotypés (la mère possessive, le père exigeant) de la même manière qu'on illustre simplement l'alcoolisme du personnage (seul sur un banc sous la pluie, en cure). Est-ce cela, le romantisme? On insère difficilement les ellipses temporelles (à l'aide d'images d'archives et de surtitres). La reconstitution historique est pourtant compétente, mais elle confine malheureusement les personnages à des gros plans qui se chargent difficilement d'émotion(s). Les moments de création, alors que Mathieu est au piano, sont les plus réussis justement parce que ce n'est pas la reconstitution historique qui prime, mais bien l'art. Le montage est cependant parfois très maladroit...
Les caméos (leurs « performances » ne sont véritablement rien de plus) de Mitsou, Isabel Richer, Lothaire Bluteau et Catherine Trudeau ne permettent pas non plus d'établir un véritable noeud dramatique qui irait au-delà du simple récit d'événements. « Il s'est passé ceci, puis il s'est passé cela, et finalement ceci... » tel que nous le rappelle le tableau à la fin. L'importance de leur personnage est minime, négligeable, et on voit plutôt poindre ici les grandes lignes d'une série télé de treize heures. Le matériel est là; même le jeu des acteurs est le plus souvent mieux adapté à un poste de télévision. Il a cette grandiloquence du raccourci : pas le temps de faire passer l'émotion, il faut que ce soit clair (les auditeurs de Mathieu sont impressionnés, on le sait car ils font des grands yeux).
Je suis de ceux qui croient que le cinéma est un art en soi, auto-suffisant même s'il utilise, d'une certaine manière, de nombreux autres arts (l'image, les textes, le jeu, etc.). Cela signifie que je crois qu'il a quelque chose à ajouter, quelque chose qui lui soit propre, qui soit sa spécificité. Dans le cas de L'enfant prodige : pourquoi le cinéma? Que peut ajouter le cinéma à une trame sonore (qu'elle soit bonne, mauvaise ou méconnue)? Quelles sont les émotions que porte le cinéma qui n'étaient pas déjà dans la musique d'André Mathieu? C'est une question primordiale qu'il faut absolument se poser.