« No one man should have all that power » - Ye
À l'instar de Voldemort dans la saga Harry Potter, la simple mention du nom Donald Trump dans la sphère publique est suffisante pour déchaîner les passions, et ce, autant chez ses plus fervents supporters que ses plus virulents détracteurs.
L'indifférence n'est tout simplement pas envisageable lorsqu'il est question du controversé homme d'affaires et encore plus controversé ancien président américain qui, à l'heure actuelle, continue d'espérer pouvoir remonter sur son trône en janvier prochain.
Évidemment, The Apprentice arrive à un moment on ne peut plus opportun, à moins d'un mois de l'élection présidentielle américaine.
Et le réalisateur Ali Abbasi savait exactement sur quel terrain miné il s'aventurait, revenant sur l'ascension fulgurante du magnat de l'immobilier (incarné ici par Sebastian Stan) après sa rencontre fortuite et déterminante avec l'avocat aux méthodes tout aussi discutables Roy Cohn (Jeremy Strong).
Après avoir pris le jeune Donald sous son aile, Roy utilise des informations compromettantes pour faire chanter certains haut placés de la ville de New York, afin de permettre à son nouveau client d'obtenir une exemption de plusieurs dizaines de millions de dollars en taxes, et ainsi effectuer la pelletée de terre sur son premier chantier d'envergure. Trump désire alors rénover un hôtel en décrépitude d'un quartier tout sauf huppé de la Grosse Pomme. Un projet d'envergure qui, selon lui, contribuerait à redorer le blason d'une métropole en chute libre.
Et force est d'admettre que le jeune Trump avait vu juste.
Les années passent, et Donald multiplie les projets de luxe à New York et à Atlantic City, appliquant radicalement toutes les leçons que lui a inculquées son mentor, et perdant peu à peu tous ses scrupules.
Dès la séquence d'ouverture, Ali Abbasi communique allègrement toute l'ironie de sa démarche. Tandis que son protagoniste déambule dans les rues de New York en route vers un établissement fréquenté par certaines des personnes les plus influentes des États-Unis, le cinéaste accompagne ses pas d'un air de musique punk, question de mettre en relief une tout autre forme de révolte contre le système... au nom du système.
L'ensemble du film nous incite d'ailleurs à « en rire plutôt qu'en pleurer ». Entre ses rappels qui ont de quoi déconcerter et faire rire jaune, et ses observations aussi pointues qu'absurdes et désopilantes, The Apprentice n'a jamais à dénaturer ou exagérer les faits pour démontrer à quel point tout ce qui a entouré cette ascension truquée avait déjà tout d'une gigantesque farce.
Le long métrage assume aussi pleinement son côté légèrement trash et décadent, tandis que le traitement de l'image rappelle constamment la qualité d'une vieille cassette VHS usée. The Apprentice impressionne d'ailleurs de par sa minutieuse reconstitution de la fin des années 1970 et de la décennie 1980, dont il recrée l'esthétique et l'état d'esprit comme peu d'oeuvres cinématographiques ont su le faire auparavant.
Évitant le piège de la justification et de la quête de sens, The Apprentice souligne à très gros traits que, tout comme la négociation, le « trou de culisme » est également un art qui s'apprend et se perfectionne.
Sebastian Stan offre une performance tout à fait jouissive dans la peau de Trump, dont il reproduit les tics, la gestuelle, la démarche et l'intonation en ne sombrant jamais dans la caricature. La manifestation du personnage que nous connaissons aujourd'hui se fait d'ailleurs d'une manière très progressive, Roy Cohn devenant pour sa part le Dr Frankenstein ayant perdu totalement le contrôle du monstre qu'il a créé.
Si le chemin de Trump n'avait pas croisé celui de Cohn, l'Histoire aurait sûrement été bien différente, le film nous rappelant à chaque détour que son protagoniste n'a rien du self-made man, et tout de l'éponge ayant continuellement profité des largesses d'autrui, et forgé sa personnalité et sa vision en absorbant celles des autres.
Sous les traits bronzés de Roy Cohn, Jeremy Strong dose avec tout autant de précision l'arrogance et le mépris d'un homme qui s'est lui aussi laissé prendre au jeu, et dont le destin tragique va bien au-delà de l'ironie. Abbasi réussit même à nous rendre compatissants à l'égard de ce dernier, même si nous savons pertinemment qu'il n'en aurait jamais été autrement du temps qu'il était en pleine possession de ses moyens.
Si The Apprentice ne fait jamais dans la dentelle et demeure parfois un peu trop anecdotique, sa critique du pouvoir - et plus particulièrement de la manière insidieuse dont il finit par monter à la tête de ceux qui en ont trop - n'aurait pu être exprimée à travers un cas de figure plus adéquat.