Le cinéma d'Arnaud Desplechin, s'il se fait rare (ou justement parce qu'il se fait rare...), est l'un des plus excitants du corpus français, et chaque nouvelle proposition du réalisateur ne manque pas d'attirer l'attention, cette fois-ci, entre autres, des sélectionneurs cannois, où le long métrage a débuté sa carrière en mai dernier. Plus classique, mais toujours aussi inspiré par le dispositif théâtral, le réalisateur démontre une maîtrise convaincante de ses thèmes, de ses comédiens et de sa mise en scène, même si on a déjà été plus enthousiasmé par ses histoires. Quand même, Jimmy P. (Psychothérapie d'un Indien des Plaines) est peut-être moins excitant qu'à l'habitude, mais certainement pas moins bien exécuté.
Explorant la « simplicité complexe » des traumatismes et de la psychanalyse par les moyens du cinéma (les rêves y étant facilement évoqués), le réalisateur met donc en scène la rencontre entre un Indien vétéran de la Deuxième Guerre et un ethnologue quasi-charlatan qui, au cours de discussions quotidiennes, vont retrouver dans le passé de Jimmy P. les causes de son dérèglement psychiatrique. Complexe d'Oedipe, rapport avec les femmes, culpabilité... Les causes sont assez simples (même si elles sont habilement gardées secrètes par le réalisateur), mais encore faut-il comprendre, et c'est à travers ce cheminement que le film s'avère le plus probant.
Jimmy P., c'est aussi et surtout l'occasion de voir deux acteurs de grand talent en peine possession de leurs moyens se donner une réplique convaincue, et ce malgré les pièges découlant de rôles aussi délicats, l'un à la limite de l'onirique et de l'incrédulité, l'autre à celle de l'esbroufe. Benicio Del Toro démontre ici une subtilité qu'on retrouve rarement chez lui, tandis qu'Amalric transmet bien toute l'étrangeté de son personnage. Tout ça dans un contexte de scènes dialoguées que Desplechin parvient à dynamiser.
Jimmy P., c'est aussi bien sûr un film où un réalisateur français pose un regard curieux sur l'Amérique, comme bien d'autres « étrangers » le font à travers le cinéma. Heureusement, l'histoire racontée par Desplechin évite les considérations habituelles, va au-delà de la bête reconstitution historique et saisit et partage d'éphémères impressions et observations qui nous paraissent justes et qui évoquent autant la guerre que les convictions religieuses et que le racisme. Ce contexte, habilement construit sans être trop appuyé, ajoute de la profondeur au récit et se dévoile lentement.
Au final, si Arnaud Desplechin ne propose pas avec ce film son projet le plus déstabilisant ou le plus personnel, il demeure en plein contrôle et présente une oeuvre aboutie, qui tire pleinement profit de son contexte et de ses interprètes.