Je connais (un peu) Xavier Dolan pour l'avoir côtoyé à quelques reprises ces dernières années tandis qu'il rédigeait son scénario. Voilà un film qui lui ressemble beaucoup, comme c'est d'ailleurs souvent le cas pour les premiers films. J'ai tué ma mère est comme lui : verbeux, très, et atteint d'une frénésie bénigne, d'une envie de dire beaucoup en peu de temps. D'une envie aussi de rendre hommage à des influences tout en confirmant son statut d'auteur. Car J'ai tué ma mère, comme son réalisateur-scénariste-producteur-acteur, est assez pédant, en tout cas confiant en ses moyens. Mais c'est le sine qua non d'une telle réussite. On entendra partout que « c'est son premier film » et que c'est d'autant plus valeureux qu'à vingt ans... Ne nous méprenons pas, ce n'est pas parce que son auteur est jeune qu'il faut s'émerveiller devant J'ai tué ma mère.
À 17 ans, Hubert Minel déteste sa mère. Il ne peut supporter ses accoutrements ridicules, sa décoration intérieure d'une quétainerie confirmée, ses trous de mémoire; elle lui gâche la vie. Il se réfugie donc chez son chum, Antonin, et chez une de ses enseignantes qui le prend sous son aile.
Dolan, grâce à une juste observation des mécanismes mère-enfant et une rigoureuse compréhension de ses personnages, campe son film dans une réalité stimulante qui tire profit du langage du cinéma autant que du langage des mots. Même s'il ne faudrait pas confondre J'ai tué ma mère avec un chef-d'oeuvre, car le film a quelques défauts, il n'en est pas moins une fascinante promesse de cinéaste, d'artiste.
Les dialogues sont la plupart du temps d'une rigueur chirurgicale, d'une précision digne d'un scénariste plus expérimenté. Or, Dolan fait la preuve avec son film qu'il sait manier les images aussi bien que les mots. Le montage est souvent inventif et fonctionne exactement comme l'art abstrait : l'important n'est pas ce qu'il représente mais ce qu'il fait ressentir. À ce titre, les émotions sont fortes et diversifiées. Bien sûr, un film réalisé dans l'urgence comme celui-ci n'est pas sans faille, et quelques défauts apparaissent à l'occasion alors que le scénario, s'il n'en souffre pas trop, n'est pas construit sur de véritables ressorts dramatiques et contient plusieurs répétitions. Des scènes inutiles, particulièrement une course onirique dans la forêt ou un passage à tabac mal installé, viennent aussi en ralentir parfois le rythme.
D'autres scènes fonctionnent merveilleusement bien, dont cette magnifique séance de dripping, en grande partie grâce à la candeur et l'abandon des comédiens. Leur langage, à l'exception d'un ou deux accrocs, est ancré dans le réel et Anne Dorval, d'un naturel désarmant, est d'une grande efficacité. Car on oublie que J'ai tué ma mère est un film très drôle, tout spécialement grâce à sa performance dévouée.
Les cadres sont très habilement désaxés, et les personnages, alourdis par cette figure de style cinématographique, semblent prisonniers de ces discussions - au demeurant fort bien écrites - qu'on ne veut pas avoir avec sa mère qui ne comprendrait rien de toute façon. Ces personnages, qui sont de justes analyses proches de la réalité (un euphémisme pour dire « des stéréotypes intelligents »), deviennent le moteur d'un récit aux enjeux intimes mais aux aspirations universelles d'art et de beauté. La beauté physique et la beauté artistique, bien entendu, se retrouvent souvent, quand on a la vivacité d'esprit et de lettres d'un Xavier Dolan, dans des déclarations d'amour. J'ai tué ma mère en est une, mais au cinéma.