Au-delà de la quête de vengeance, au-delà du chaos et de la folie émanant de la moindre image, l'une des principales idées à laquelle carbure Furiosa: A Mad Max Saga est l'effet du passage du temps dans un monde en déroute, où il n'a plus vraiment de sens ni d'importance.
Le film suit d'ailleurs une progression narrative assez particulière. L'ensemble demeure tout ce qu'il y a de plus haletant, suivant un rythme réglé au quart de tour renforcé par une bande originale tirant son tempo de sonorités s'apparentant aux bruits d'un moteur.
Pour un film de près de deux heures et demi, maintenir une telle cadence d'un bout à l'autre est déjà un exploit en soi.
Mais le maestro se réserve tout de même le droit d'arrêter de battre la mesure au moment opportun. Pour nous faire apprécier la démesure de la direction artistique et de ses personnages, comme la grandeur de ses confrontations nourries autant à l'ego qu'aux flammes et à la gazoline. Le tout en s'assurant néanmoins que nous demeurions toujours au bout de notre siège.
D'ailleurs, même si elle incarne le rôle-titre, Anya Taylor-Joy n'entre pas en scène avant presqu'une heure, laissant entre temps le soin à Alyla Browne de camper la jeune Furiosa, à partir du moment où elle perdit sa mère pour protéger l'un des derniers oasis de vie, et qu'elle fut récupérée par l'assassin de cette dernière, Dr Dementus (Chris Hemsworth), un homme en constante quête de pouvoir qui n'hésitera pas à défier Immortan Joe (Lachy Hulme) jusque dans son repaire pour étendre son influence au coeur du désert, et accroître son armée de motards et de disciples.
Lorsque Furiosa aboutit dans le camp d'Immortan Joe, celle-ci se cache parmi les jeunes hommes du clan en attendant patiemment sa vengeance pendant quinze ans, faisant le plein de connaissances mécaniques et de techniques de combat, avant d'être prise sous l'aile de Praetorian Jack (Tom Burke), dont elle finit par s'éprendre.
Quarante-cinq ans après la sortie du premier opus, George Miller connaît les moindres codes, règles et recoins de son univers post-apocalyptique peuplé d'individus ayant tous un peu perdu la tête. Mais le cinéaste australien prouve encore qu'il lui reste plus d'un tour dans son sac pour nous en mettre plein la vue - et l'ouïe - dans ce « Far East » où le concept même de civilisation n'est plus qu'un lointain souvenir.
À l'instar de Mad Max: Fury Road, Furiosa est une oeuvre visuellement magistrale. Une toile vivante sur laquelle Miller peint sans retenue, substituant les coups de pinceau par des mouvements de caméra on ne peut plus expressifs et énergiques, une violence opératique, et des corps et des machines fonçant à toute allure vers leur dernier souffle - ou vrombissement.
Miller embrasse une fois de plus son approche maximaliste pour mettre en scène des séquences d'action extrêmement ambitieuses, chorégraphiées et exécutées avec une incomparable attention aux détails.
Le réalisateur a également saisi l'essence de ce que doit être un antépisode, offrant un résultat un tantinet moins extravagant, mais tout aussi chargé, impliquant une montée dramatique devant renforcer l'impact des événements du chapitre suivant/précédent, et manifestant les premiers balbutiements de quelque chose de beaucoup plus grand.
L'initiative était certainement à double tranchant au départ, mais s'avère finalement très payante.
Petit bémol s'il en est un, le cinéaste a tendance à couper les coins un peu trop ronds durant la deuxième moitié du film, se tournant trop souvent vers l'ellipse pour passer à travers l'ascension de son personnage principal. Il y aurait pourtant eu de belles séquences à tirer du développement de la complicité entre Furiosa et son nouveau mentor.
Pour sa part, Chris Hemsworth offre une performance fascinante dans la peau d'un Dr Dementus présenté à deux stades bien différents de sa vie. D'une certaine façon, ce dernier finit par faire écho au personnage absent du film (ou presque?) mais présent dans le titre, étant passé d'aspirant conquérant à un leader avançant lui aussi vers l'abysse, de plus en plus porté par un inévitable nihilisme. Dementus est conscient que ses actions, aussi barbares puissent-elles être, n'ont aucune résonance dans ce cauchemar sans fin.
Bien défendue par Anya Taylor-Joy, Furiosa est aussi habitée de pareilles contradictions, ayant été meurtrie plus d'une fois pour avoir simplement osé espérer.
L'ultime confrontation entre les deux personnages est d'ailleurs marquée par un dialogue saisissant, résumant superbement l'ensemble de ces idées.
À travers cette constante montée d'adrénaline, cette attitude frondeuse, et ce défilement d'images d'une beauté plastique exceptionnelle et de trouvailles techniques saisissantes, Miller évite la redondance en nous offrant à un épisode qui termine peut-être sa course une petite coche en dessous d'un Fury Road ou d'un Road Warrior, mais qui demeure indéniablement une oeuvre d'exception en son genre.