Que serait le septième art québécois sans André Forcier? Cela fait 50 ans que le réalisateur le plus iconoclaste de la Belle Province fait rêver et grincer des dents. Personne ne fait des films comme lui et il a offert par le passé son lot de classiques tels que L'eau chaude, l'eau frette et Au clair de la lune. Après un long passage à vide, il a replongé dans la fontaine de jouvence en 2009 avec Je me souviens et deux années plus tard grâce à Coteau rouge.
Embrasse-moi comme tu m'aimes est fait du même bois. On retrouve à nouveau ce ton unique, cet humour salvateur et un nombre incalculable de répliques cultes. Tout ne touche pas la cible d'égale mesure et le mauvais goût n'est jamais très éloigné. Il y a pourtant une liberté dans chaque plan, un désir de brasser les conventions.
Le récit a beau se dérouler à Montréal dans les années 40, il demeure étonnamment moderne. Pendant que la guerre gronde, le Canadien français cherche à s'affranchir et les femmes à s'émanciper, alors que l'Église se découvre soudainement une sexualité et la police un désir d'abuser de son autorité. C'est sans compter sur cette homophobie qui prévaut. Plus ça change, plus c'est pareil.
Davantage sexy et sensuel que ses prédécesseurs, le long métrage fait ressortir au sein de ses trop nombreuses intrigues un jumeau (Émile Schneider) qui tente de repousser les avances de sa jumelle (Juliette Gosselin)... alors qu'il en rêve toutes les nuits! Une métaphore parmi tant d'autres dans cette foisonnante fable de symboles et d'allégories que n'aurait pas reniée Réjean Ducharme.
Une certaine magie fantasmée se fait également ressentir, et ce, à tous les niveaux. Il y a des séances de rêves qui semblent s'échapper d'un chef-d'oeuvre de Jean Vigo ou de Fellini, une plume à la Prévert, une joute rythmée et des affrontements imagés dignes des Looney Tunes. Bien que la satire soit parfois grosse et qu'il faut peut-être s'habituer à cette langue si particulière, il y a une imagination débordante qui émane de cet esprit fou et éclaté.
Ce qu'on aurait aimé que la mise en scène soit à la hauteur du texte. Sans être décevante, la réalisation théâtrale demeure dépendante aux moyens limités en place, n'offrant que trop peu de ces flashs qui peuvent faire écho à Wes Anderson. L'impressionnante distribution fait toutefois de l'ombre à ces intempéries économiques. Pratiquement tout le bottin de l'Union des Artistes s'y retrouve et s'il ne faut pas révéler ces grands noms qui sont présents souvent pour une seule réplique (mais quelle réplique!), des habitués sortent du lot. C'est le cas de Céline Bonnier, irrésistible en mère qui s'aime un peu trop, et Roy Dupuis, hilarant en père destructeur.
On peut toujours compter sur André Forcier pour nous offrir un cinéma différent, inclassable et complètement déluré. Embrasse-moi comme tu m'aimes possède cette graine de champion qui surprend constamment et qui n'ennuie jamais. Si le cinéma québécois faisait plus de ces films charmants, il ne s'en porterait que mieux.