À bien des égards, Une langue universelle n'aurait pu être plus diamétralement opposé à la « Minute du patrimoine » complètement déjantée que le Montréalais d'adoption Matthew Rankin nous avait servie, en 2019, avec The Twentieth Century.
L'humour absurde et les situations aussi loufoques que volontairement décontenançantes figurent toujours au menu, mais au service d'une mise en scène beaucoup plus maniérée, et d'un récit tourné vers la culture, les liens familiaux, ainsi qu'une profonde quête existentielle et identitaire.
Surtout, l'approche du cinéaste canadien se révèle moins provocatrice et abrasive cette fois-ci, et beaucoup plus précise et posée.
À l'écran, Rankin incarne un dénommé Matthew, un fonctionnaire travaillant au Québec qui doit rentrer à Winnipeg pour rendre visite à sa mère malade. Une fois arrivé au coeur du territoire manitobain, il s'avère plutôt difficile pour le principal intéressé de retrouver la trace de sa génitrice. Entretemps, Matthew contemple sa ville natale d'un nouvel angle, puis va à la rencontre de personnages tous unis par une quête d'entraide... et une attaque de dinde sauvage.
Dans ce long métrage tourné en majorité en langue farsi, les rues et les édifices de ce Winnipeg fictif sont imprégnés de la culture de l'Orient. Les Tim Hortons ont des airs de salon de thé, les marchés publics se déploient au coeur du froid de l'hiver canadien et des bâtiments à l'architecture tout aussi austère, les quartiers sont méthodiquement divisés, et les affichages politiques n'ont absolument rien d'occidental.
Pourquoi exactement? Rankin ne l'explique pas vraiment. Et c'est ce qui rend son exercice aussi fascinant que rusé et perspicace, poussant son public à voir et à considérer sous un regard complètement différent des détails et des éléments qu'il a toujours pris pour acquis, sans jamais en remettre en question les fondements, ne serait-ce que pour le plaisir de la chose.
Une langue universelle se déploie lentement, patiemment, mais à un rythme parfaitement cadencé. À travers ce qui apparaît de plus en plus comme un grand labyrinthe urbain et humain, la réalisation, le montage et les mouvements de caméra très méthodiques et calculés n'apparaissent jamais rigides, bien au contraire. Rankin et sa directrice photo Isabelle Stachtchenko parviennent même à tirer d'innombrables images d'une beauté plastique insoupçonnée à partir de lieux tout ce qu'il y a de plus anodins au premier abord.
Les élans du maître de cérémonie sont également caractérisés d'une enivrante chaleur humaine, laquelle s'impose au milieu de l'hiver tandis que le protagoniste en tous points réservé est amené à la rencontre de différents individus, avant de se laisser guider par la bande à travers sa propre histoire - autant au sens large que personnel.
Si le côté complètement décalé de The Twentieth Century lui avait permis de faire une entrée fracassante et inoubliable dans le cinéma québécois et canadien, c'est l'ingéniosité, la minutie et la parfaite maîtrise du ton satirique et de ses éléments narratifs qui permettent à présent à Matthew Rankin de se hisser parmi les créateurs les plus originaux et talentueux de notre paysage cinématographique actuel.
Après seulement deux longs métrages, l'exploit est non négligeable, et la sélection du film pour la course aux Oscars pleinement méritée.