Qu'on le veuille ou pas, le budget d'un film influence sa qualité. À quoi ressemblerait Mad Max: Fury Road ou Louis Cyr s'ils avaient coûté uniquement un million de dollars? Les longs métrages d'action et ceux à costumes ne sont pas les seuls genres à dépendre de cette loi du marché. Il en va également des drames, des comédies et des romances. Et sans argent, cela oblige les artistes à être encore plus imaginatifs pour arriver à leurs fins.
C'est ce à quoi a été confrontée la cinéaste Marquise Lepage avec Ce qu'il ne faut pas dire. Refusé par les institutions et fabriqué avec des bouts de chandelles grâce à des artisans qui ont le coeur sur la main, l'essai fait beaucoup avec très peu. Ce n'est toutefois pas toujours suffisant pour sauver les apparences qui, elles, rappellent cruellement la réalité.
La réalisatrice tente pourtant l'impossible pour faire croire à ce conte de fées. La fiction est soumise aux codes du documentaire, amenant une dimension rafraîchissante au propos. Il y a un nombre incroyable d'ellipses et de retours vers le passé qui ébranlent la ligne temporelle et celle du coeur. Des éléments de mise en scène qui auraient dû être renforcés par encore plus de fantaisie et de magie, de prises de risques comme se le permet par exemple Valérie Donzelli (La guerre est déclarée, Main dans la main, La reine des pommes). Limiter notamment cette narration omniprésente qui est beaucoup trop directrice et trouver des moyens encore plus ingénieux de faire avancer le récit.
Ce qui interpelle rapidement dans ce projet est sa prémisse. Chaque fois qu'on lui dit "je t'aime", un fâcheux sort du destin est lancé dans la vie de notre héroïne. Après avoir côtoyé la mort de près, la trentenaire préfère voguer de relation en relation sans jamais s'engager, sans souffrir ou devoir rouvrir les plaies du passé. Il y a le climat de l'époque qui est en cause - l'égoïsme et la solitude des sociétés capitalistes où l'on trouve l'amour sur Internet sans faire d'efforts - et celui des tragédies qui hantent l'existence à jamais.
Un scénario assez solide, dont aurait raffolé Woody Allen, qui est parfois plombé par des dialogues trop écrits ("Quand ça fait si longtemps qu'on se tait, c'est difficile de recommencer à parler") et une surabondance de métaphores (les poissons) et de bons sentiments moralisateurs (qui irait écrire sur un banc que "Le bonheur est simple"?). Le ton ludique, lumineux, doux et romancé ne fait d'ailleurs pas toujours bon ménage avec ce condensé de calamités qui apparaissent en l'espace de quelques minutes et dont le cinéphile ignore s'il doit prendre le tout avec sérieux ou ironie.
Quelques faiblesses et largesses qui sont éclipsées par la performance virevoltante d'Annick Fontaine. La comédienne québécoise est surtout connue pour son travail au théâtre et elle fait grande impression lors de son premier rôle au cinéma dans la peau d'une femme extravertie qui multiplie les moyens loufoques pour accéder au bonheur. Un talent de composition qui finit cependant par faire un peu d'ombre au reste de la distribution, moins convaincante au demeurant.
Plus oubliable que les précédents efforts de sa créatrice (dont Marie s'en va-t-en ville, Un soleil entre deux nuages et Martha qui vient du froid en tête), Ce qu'il ne faut pas dire ne se laisse pas décourager par son budget dérisoire. Tout ne fonctionne peut-être pas correctement, sauf qu'on ne pourra jamais accuser le film de manquer de sincérité et d'honnêteté. Et devant la tâche de plus en plus impossible de sortir un long métrage sans financement public, voilà une production qu'on a seulement le goût d'encourager.