11.6 relate un fait divers - visiblement - très publicisé en France. Comme il s'agit d'un évènement connu des Français, les explications sont, probablement, effectivement superflues, mais lorsque le film en question voyage et traverse l'Atlantique pour se retrouver sur les écrans des cousins québécois, le manque de mise en contexte devient un obstacle à la compréhension et à l'appréciation du spectateur de cinéma. C'est sans doute la première chose que l'on remarque dans 11.6; son aspect schématisé. La sobriété est un style, certes, une oeuvre dépouillée est souvent plus honorable qu'une trop chargée - tant narrativement que visuellement -, mais, pour un public qui ignore complètement les détails de l'histoire de ce convoyeur de fonds qui a fui avec 11,6 millions d'euros, la retenue de Philippe Godeau fait paraître l'oeuvre incomplète.
Cinématographiquement parlant, cette réserve intrigue et s'avère bien contrôlée et constante jusqu'à la conclusion, déjà connue (encore là... du peuple français). Le film est aussi épuré au niveau de la direction photo et des dialogues. Il s'agit généralement d'un avantage lucratif lorsque les textes sont suffisamment travaillés pour ne laisser que l'essentiel. Les personnages dans 11.6 ne parlent pas pour ne rien dire. Il n'y a que très peu de répliques contrefaites pour pallier à la stagnation de l'action, comme c'est souvent le cas dans nombre de films français. Les scénaristes ont aussi choisi de ne pas introduire une narration externe qui aurait pu expliquer les gestes du héros, parfois assez instinctifs et plutôt incohérents. Cette décision louable (on a su éviter la facilité) entraîne une forme d'inconfort qui finit par devenir utile au récit et profitable au résultat global.
Le jeu de François Cluzet - par qui des millions de Français et de Québécois ont été séduits l'an dernier dans Intouchables -, très intérieur, parvient à déstabiliser le public, qu'il ait une opinion d'emblée sur le personnage qu'il incarne ou pas. Bouli Lanners, qui interprète un homme légèrement retardé et fondamentalement bon, est aussi fort touchant et apporte une naïveté bienvenue au sein d'un drame biographique sombre comme celui-ci. Corinne Masiero est aussi fort crédible sous les traits de la copine du voleur.
Il y a des histoires qui méritent d'être racontées et il y en a qui prennent un sens bien différent lorsqu'elles font l'objet d'une adaptation au cinéma. C'est probablement le cas de 11.6. Le film parvient à faire réfléchir à la valeur de l'argent, mais surtout à sa signification dans la société. Les nombreux instants de silence permettent cette introspection et parviennent à élever le film à un rang supérieur, au-dessus du simple divertissement. Cette morale aurait pourtant pu être mieux amenée, davantage précisée sans, bien sûr, la forcer. Tout est une question de dosage et, évidemment, c'est très ardu de trouver la posologie parfaite. 11.6 aurait pu en faire plus, mais on comprend sa retenue et son message.