À la fois près et loin de nous, le personnage mythique qu'est Louis Cyr se prêtait particulièrement bien à un passage au grand écran. Le nom est familier, les exploits moins. Son histoire permettait d'aborder plusieurs sujets, en plus d'être le récit inspirant d'une réussite humaine de dépassement de soi. Dans Louis Cyr : L'homme le plus fort du monde, il a apparemment fallu faire des choix pour former un récit qui ne s'étendrait pas trop, entre le Massachusetts et le Québec, entre les époques, sur deux continents, etc. Des choix qui, de toute évidence, ont été faits à grand coût, mais consciencieusement, et qui permettent à Louis Cyr : L'homme le plus fort du monde d'atteindre ses objectifs, et même, de les surpasser.
Le réalisateur Daniel Roby rend justice au scénario en évitant la surenchère d'effets visuels et stylistiques (à une ou deux exceptions près) : ici, c'est l'histoire qui doit primer. Une histoire qui est tout particulièrement complexe à raconter, entre Lowell et le Québec, souvent en anglais, à une époque qu'on associe aux inégalités sociales et linguistiques (difficile cependant de se dire que les choses ont véritablement changé); il a donc fallu laisser tomber de grands pans de la vie de Louis Cyr, mort en 1912 à l'âge de 49 ans. Dans une optique d'efficacité narrative, les choix semblent justifiés, mais le portrait historiographique s'en trouve du même coup fortement diminué.
S'il est vrai que le récit, malgré ses deux heures bien comptées, est généralement cohérent et qu'il se développe bien, on peut remarquer un déséquilibre entre les thèmes qui ressortent du film et les moments « importants » de la vie du héros. Quelles leçons humaines, familiales ou sociales peut-on tirer du film? Assez peu, vu la spécificité du sujet et du contexte. Ainsi, le long métrage, aussi agréable puisse-t-il être, ne va jamais au-delà de certaines limites bien balisées du cinéma grand public. Mais force est de constater que tout le monde s'est bien acquitté de sa tâche et qu'on a droit ici à du travail bien fait.
Dans le rôle central, Antoine Bertrand s'avère aussi convaincant que possible; l'acteur, charismatique, trouve ici un rôle d'envergure qu'il défend avec conviction et passion, ce qui transparaît à l'écran. Souvent confiné à des rôles plus modestes, il a ici des qualités de meneur de jeu même s'il est entouré d'acteurs efficaces et expérimentés. Toute la distribution fait un travail honnête.
Oui, la plupart des thématiques sont rapidement abordées, et oui, certains des dialogues sont ampoulés et didactiques, mais dans un film qui a une histoire si ambitieuse à raconter, rien de tout cela n'est choquant. Louis Cyr : L'homme le plus fort du monde est un film québécois bien fait, par des artisans compétents, dans l'optique de rejoindre un large public. Pour cela, il faut faire des sacrifices, et ils sont ici apparents, tout le monde s'entend là-dessus. Mais si le cinéma américain peut se permettre une telle manière de faire, surtout en cette période estivale, pourquoi le cinéma québécois, qui n'a plus que lui-même à convaincre qu'il fait partie des grandes cinématographiques mondiales, ne le pourrait-il pas?