Le drame a perdu ses lettres de noblesse. Surexploité, le genre se perd le plus souvent dans les exagérations et les clichés. Les grandes fresques historiques qui plaisaient tant aux auditoires de la première moitié du siècle sont devenues de pâles copies manipulatrices difficiles à regarder, et ennuyantes à mourir. On pourrait presque dire la même chose du cinéma canadien anglais; excepté quelques étincelles ici et là avec les films d'Egoyan ou de Cronenberg, la production du ROC n'a rien à voir avec celle - imparfaite, quand même - du Québec, diversifiée et autosuffisante. Or, quand on a la chance de tomber sur un drame canadien réussi, d'une actrice qui a justement travaillé avec les deux réalisateurs susmentionnés et transformée en réalisatrice, on n'a d'autre choix que de le mentionner.
Grant et Fiona sont mariés depuis 45 ans. Mais la maladie frappe et Fiona, atteinte d'Alzheimer, doit être placée dans une maison de retraite. Elle y tombe amoureuse d'Aubrey, un voisin, pendant que Grant, jaloux, voit s'effacer celle qu'il aime petit à petit. Après le départ d'Aubrey cependant, l'état de Fiona se détériore, et Grant décide de partir à la recherche de ce dernier pour tenter de redonner goût à la vie à sa femme qui ne se souvient même plus de lui.
Away From Her est à l'image du personnage de Fiona : dur et ironique. Pas dans la forme, où les images apaisantes d'hiver et la musique discrète rythme un récit déconstruit sans cassure; mais dans le fond, parce qu'il y est bien sûr question de fatalité, d'impuissance face à la vieillesse, la maladie et la mort. Parce qu'il demeure lucide, drôle, le film n'est pas si lourd qu'il n'y paraît. Il est même rafraîchissant grâce à sa manière cavalière d'aborder la vie. La réalisatrice désamorce, par petites touches, des moments d'une grande intensité dramatique pour éviter qu'ils ne soient trop durs à supporter - et qu'on les qualifie alors d'irréalistes. Ici, par souci de réalisme ou simple pudeur, le film n'appuie pas sur le drame qui est pourtant bien présent; il laisse le film et les personnages parler d'eux-mêmes, vivre sur l'écran avec la précision et la rigueur de ce qui pourrait être un documentaire. Un film qui ne dit pas quand pleurer - ce pourrait être jamais et on apprécierait quand même - et qui demeure subtile et très efficace.
La force et la lucidité des dialogues impressionnent, jamais le film ne semble improbable. Il en est d'autant plus touchant.
Julie Christie est d'une grande sensibilité dans un rôle taillé sur mesure pour ses yeux azurés; Gordon Pinsent, brillant, lui donne une réplique respectueuse avec sa voix grave d'homme fier pris au dépourvu. Une histoire d'amour qu'on réserve habituellement aux drames romantiques pour adolescents où, à vingt ans, on connaît déjà l'amour qui dure toujours. Plus crédible, mieux exprimé, Away From Her ne semble pas avoir été réalisé par une jeune femme de 28 ans qui a joué dans Dawn of the Dead, mais par une vieille dame qui est déjà fière de ce qu'elle a accompli. Ce qu'on ne peut que souhaiter à Sarah Polley, parce que son premier long métrage a des qualités bien rares et mérite d'être signalé.
Quand on a la chance de tomber sur un mélodrame canadien réussi, d'une actrice transformée en réalisatrice, on n'a d'autre choix que de le mentionner. Le film n'appuie pas sur le drame qui est pourtant bien présent; il laisse le film et les personnages parler d'eux-mêmes, vivre sur l'écran avec la précision et la rigueur de ce qui pourrait être un documentaire. Un film qui ne dit pas quand pleurer – ce pourrait être jamais et on apprécierait quand même – et qui demeure subtile et très efficace.