La réalisatrice Sarah Polley (Away From Her, Take This Watlz), s'est un jour intéressée à sa mère, l'actrice torontoise Diane Polley, décédée d'un cancer en 1990 à l'âge de 54 ans, alors que Sarah avait 11 ans. Lorsqu'une réalisatrice (ou un réalisateur, pas de discrimination), s'intéresse à un membre de sa famille, cela donne souvent un documentaire. Il ne faut pas s'en étonner : les cinéastes utilisent le cinéma comme les écrivains utilisent le papier. Or, Stories We Tell est en premier lieu le film familial que l'on attend : un portrait senti, couplé d'une reconstitution historique et d'une histoire de famille empathique. Mais il est ensuite beaucoup plus que ça... à commencer par le simple fait que toute cette famille gravite autour du cinéma.
Les documentaires familiaux - ou « films de famille » - ont un intérêt très changeant selon qui les regarde. Le piège, bien sûr, est de faire un film qui n'intéresse que la famille immédiate; cela peut être très émouvant de voir des images d'une personne chère maintenant disparue, de retrouver par l'image une amitié qu'on a chérie ou un amour de jeunesse qui nous a échappé. Mais s'il s'agit d'un premier contact, qu'on est en face d'inconnus, cela perd vite tout intérêt. Les premières minutes (et même la mise en marché) de Stories We Tell laissent présager quelque chose comme ça; Polley utilise son père pour faire la voix-off, elle rencontre ses frères et ses soeurs, etc. Famille immédiate, fantasme égocentrique.
Mais plus le film avance, puis il apparaît étrange ou incongru. Plus on se dit : mais qui a tourné toutes ses images d'archives? Puis, arrivent les révélations, découlant de la lucidité des intervenants, qui vient dynamiser un film qui devenait de plus en plus « intime ». Ce qui est fascinant dans ce processus, c'est qu'il se produit à plusieurs moments de nombreux revirements de situation particulièrement signifiants dans un contexte de documentaire; des éléments habilement manipulés par la réalisatrice qui effacent encore un peu plus la frontière entre la réalité et la fiction.
Et ce qui est particulièrement stimulant, c'est qu'un spectateur averti pourra participer à ce cheminement, voir les irrégularités avant qu'elles ne lui soient expliquées et ainsi intégrer le film. Le plaisir de Stories We Tell se situe dans ces quelques moments, parfois ironiques parfois simplement émouvants, où Polley renverse les attentes. Avec même - on suppose - un petit sourire narquois et un plaisir évident.
Les dernières minutes s'étirent inutilement et certaines mises-en-scène sont moins crédibles que d'autres, mais Stories We Tell demeure une proposition narrative particulièrement intéressante qui contribue au genre. Déjà seulement en retournant habilement ce qui aurait pu être « égocentrique » en quelque chose d'« égo-impudique », le long métrage propose quelque chose de stimulant, de convaincant et même d'émouvant.
Et il en reste cette phrase, cruellement magnifique : « It is nice to be in showbiz when you die, because the people who speak at your funeral are so good at speaking. »