Énergumène cinématographique s'inscrivant difficilement dans la cinématographie française - sinon à travers la filmographie d'Alain Guiraudie, mais ça, c'est l'évidence - Le roi de l'évasion est une comédie comme il y en a peu, rigoureuse dans son absurdité, hilarante parce qu'inconfortable, séduisante et audacieuse dont le principal mérite est de jouer aussi bien avec l'anodin que l'universel. La chronique de campagne qu'elle aurait pu être est vite remisée pour en faire le fantasme taquin d'un réalisateur au sens de l'humour ultra-développé. Un humour digne des meilleures comédies burlesques, teinté d'une naïveté attendrissante et d'un rapport frivole et sans complexe face à la sexualité.
À 43 ans, Armand commence à se lasser de sa vie d'homosexuel célibataire. Vendeur de machinerie agricole dans le Sud de la France, il fait la rencontre de la jeune Curly, 16 ans, fille de son patron, qui va changer sa perception de la vie. Amoureux, les deux amants s'enfuient dans la nature, où ils devront éviter les pièges tendus par la police lancée à leurs trousses. Mais Armand n'est plus sûr de rien.
La rencontre improbable de cet homme de 43 ans, gai, balourd, discret et gauche et de cette gamine de 16 ans, énergique, joyeuse et dévergondée donne au film un ton bigarré qui le rend délicieusement absurde et décalé. Le tour de force était ici de maintenir le réalisme malgré l'incongruité des situations. Avec cette langue délicieusement accentuée, cette campagne française impossible qui n'existe chez aucun autre cinéaste, l'atmosphère est telle que tout est possible. L'humour y gagne, le récit aussi.
Ce couple - aussi improbable que convaincant - est mené de main de maître par Ludovic Berthillot, magnifiquement choisi, et Hafsia Herzi, dont on ne peut que saluer l'audace après l'avoir vue briller dans La graine et le mulet. Disons qu'un film comme celui-ci, aussi intéressant soit-il, ne fait pas habituellement partie du plan de carrière d'une jeune actrice aux bonnes moeurs. Voilà qui est particulièrement rafraîchissant. Les acteurs secondaires, débonnaires et entièrement dédiés, séduisent aussi par leur absence totale de complexes. C'est obligatoire, d'ailleurs, avant de se soumettre à un film comme celui-ci, que de désamorcer ses préjugés.
L'effet de surprise est primordial dans Le roi de l'évasion. Sous ses airs faussement humbles de comédie romantique (la promotion le laissait croire), le film prend un malin plaisir à étonner et à déstabiliser. Tant et si bien que rien n'est impossible - mais rien! - pour ces amants que tout oppose. La logique ne tient plus, que ce phénomène étrange - relativement moderne d'ailleurs sous sa forme actuelle - qu'est l'amour. Bien des films ont tenté - et tentent encore - de parler d'amour. Un sujet sérieux, grave, important... mais pas pour Alain Guiraudie.