Orson Welles, Akira Kurosawa, Roman Polanski, Béla Tarr : il faut être un cinéaste de génie pour adapter Macbeth au cinéma. Joel Coen en est un et il n'a rien à envier à ses pairs avec cette version transcendante du chef-d'oeuvre de Shakespeare qui s'apparente à un véritable rêve - ou cauchemar - éveillé.
Travaillant pour la première fois en solo (il a dû se passer quelque chose avec son frère Ethan entourant The Ballad of Buster Scruggs, le décevant film à sketches produit pour Netflix), le réalisateur américain remet au goût du jour les thèmes universels de la pièce - l'ambition démesurée, le pouvoir qui corrompt, la folie meurtrière - en l'inscrivant dans sa propre filmographie. Ce héros torturé, hanté et rattrapé par son passé se trouvait déjà à la base de son oeuvre comique et dramatique, que ce soit Blood Simple ou Fargo. Elle est seulement élevée à une intensité tragique inouïe qui lui confère un statut inédit.
Contrairement à Justin Kurzel qui avait opté pour un traitement graphique et stylisé sur sa propre version qui mettait en vedette Michael Fassbender et Marion Cotillard, le créateur du légendaire The Big Lebowski propose une approche encore plus radicale qui est celle de l'abstraction minimalisme. Il conserve la part de théâtralité de ses décors tout en embrassant pleinement les possibilités de son art. De la magnifique photographie en noir et blanc au format carré de l'image, en passant par la caméra qui se rapproche des corps et un jeu sidérant sur la profondeur de champ, le cinéphile a l'impression de se retrouver devant un vieux film muet. Le combat d'ombres et de lumière évoque le surréalisme allemand, les textures épurées sont en phase avec les classiques spirituels de Carl Theodor Dreyer, alors que le travail esthétique du directeur photo Bruno Delbonnel (Amélie Poulain, Faust) rappelle quelques peintures célèbres, dont celles de Giorgio De Chirico. Puis il y a cette utilisation fascinante du son - accentuée lors de moments de démence - qui forme une puissante symbiose avec les mélodies sombres et glaçantes du compositeur Carter Burwell.
Une mise en scène d'une époustouflante maîtrise qui est au service des textes et des mots, rigoureux et essentiels. Évidemment l'anglais vieillot en mettra plusieurs à l'épreuve, tout comme le rythme qui paraît parfois ankylosé. Cela permet toutefois aux comédiens de briller. Des protagonistes aux rôles secondaires, tous jouent avec brio. C'est le cas notamment de Frances McDormand, éblouissante en Lady Macbeth, et de Corey Hawkins, émouvant en Macduff. La palme revient toutefois à Denzel Washington qui incarne à la perfection Macbeth avec un mélange saisissant de charisme, de violence, d'intériorité et de vulnérabilité. Abonné ces deux dernières décennies aux productions d'action quelconques et aux réalisations inégales, il est facile d'oublier comment il peut être un grand acteur. Le voir et l'entendre renouer avec Shakespeare (une première au cinéma depuis le truculent Much Ado About Nothing de Kenneth Branagh... bien qu'il l'ait souvent joué au théâtre dans sa jeunesse) s'avère d'ailleurs un plaisir incommensurable.
Avec The Tragedy of Macbeth, non seulement Joel Coen arrive à revitaliser un sujet vieux comme le monde, mais il offre également une de ses créations les plus éclatantes en carrière, la plus vivifiante depuis Inside Llewyn Davis. Un opus à ne manquer sous aucun prétexte, que ce soit en salle ou à la maison.