The Immigrant, c'est une histoire prenante et humaine, campée dans une époque fascinante, avec des personnages complexes... sauf qu'en réalité, c'est un roman. Oui, il y a des images, des acteurs, et James Gray, un réalisateur pourtant talentueux, derrière la caméra, mais il ne faut pas se laisser prendre, c'est bel et bien un roman. Un roman filmé, si vous voulez, mais le fait demeure : The Immigrant, par ses dialogues littéraires et interminables, par sa réalisation à peine utilitaire, par son récit qui tient de la reconstitution historique davantage que de la construction dramatique, est un roman. Il serait, en tout cas, beaucoup plus agréable sous cette forme.
Très étonnant de la part de Gray, dont les pertinents We Own the Night et Two Lovers étaient des oeuvres cinématographiques à fleur de peau et inventives, qui contournaient bien des clichés hollywoodiens (ils s'abandonnaient à d'autres, toutefois). Ici, non seulement le récit est assez prévisible, mais il est aussi limité par une reconstitution apparemment minutieuse mais ostentatoire, qui s'avère rapidement fade. On y détecte dès le départ les écrans verts des arrières-plans et le travail en studio (matte painting), ce qui brise déjà toute la magie. Visuellement, c'est élégant mais limité, les cadrages se limitant aux plans rapprochés et américains, clin d'oeil sans doute à cette histoire d'immigrée polonaise forcée à la prostitution lors de son arrivée à New York, en 1921.
L'héroïne, défendue par une Marion Cotillard en forme et parfaite pour le rôle (sa beauté est surannée), est plus victime que moteur, ce qui nuit à l'instauration d'une structure dramatique efficace liée à sa quête pour retrouver sa soeur. L'un des problèmes majeurs est également la faiblesse psychologique des personnages masculins, le proxénète Bruno et le magicien Orlando. Les motivations des deux personnages sont absconses et irrationnelles, en plus d'être changeantes, ce qui gâche la finale toute en émotions. Ce sont deux imbéciles qui n'ont qu'eux à blâmer pour leur(s) malheur(s).
Des émotions apparaissent ici et là (surtout de la tendresse), mais on est surtout confronté à des longueurs, des redites, des circonvolutions qui n'arrivent même pas à emprisonner les personnages pour les forcer à se dévoiler. Joaquin Phoenix et Jeremy Renner, deux acteurs charismatiques mais enchaînés à ces personnages versatiles, jouent l'amour (en fait la folie) grossièrement.
Même le travail du réalisateur est banal, malgré l'allure élégante des costumes et de la direction-photo. Quelques scènes (le coup de couteau et dans les égouts, par exemple), sont jolies, mais pour le reste... Le film aurait pu être une sorte d'Un prophète, à sa manière. On croirait pourtant voir une rengaine anecdotique des mythes fondateurs américains. Les champ/contre-champ simplistes des longues séquences dialoguées, montées de manière particulièrement convenue, confortent cette impression d'inachèvement. Et le dénouement laisse froid.