Terrence Malick est l'un des seuls réalisateurs américains à avoir compris que la rareté fait augmenter la valeur. On ne reçoit en cadeau un nouveau film de Terrence Malick (cinq seulement depuis 1973) si rarement qu'à chaque fois, on est déjà persuadé qu'il s'agira d'une expérience de cinéma incomparable. The Tree of Life s'inscrit bel et bien dans cette veine des « grands » films - comme dans « ambitieux » - tel que l'est The Thin Red Line. Cela ne signifie cependant pas que The Tree of Life soit sans faille.
Liant le destin d'une famille conventionnelle du Texas des années 50 à la création de l'univers, The Tree of Life, ne fonctionne pas également à tous les niveaux. D'abord dans ce flash-back exclusivement poétique mettant en vedette Sean Penn, dans une mise en scène bien faible en comparaison du noyau; ensuite dans quelques séquences inspirées de documentaire sur la nature qui sont assez peu convaincantes... Mais il y a cette caméra, maniée merveilleusement par le réalisateur, et le montage, tout simplement déconcertant, qui séduisent et émeuvent avec autant de plongées, travellings et contre-plongées que de symboles et d'interprétations. Cette caméra, aussi sublime soit-elle, est cependant moins « intemporelle », et est plus ancrée dans ce qui ressemble à une mode. D'autant que Malick frôle parfois la grandiloquence pure, entre l'ampleur poétique de certains plans (pris individuellement) et d'une musique pompeuse et stéréotypée (disons convenue).
C'est pourtant dans cette famille « nucléaire » que The Tree of Life est l'aspirant chef-d'oeuvre qu'on en a fait (à commencer par cette Palme d'Or, recueillie à Cannes le mois dernier). Bombardant les sens et l'esprit, le film est exigeant autant qu'il peut être vibrant d'une subtile émotivité, misant tout dans les détails, avec la grande efficacité qu'on reconnaît à Malick. Efficace, tout comme le sont évidemment les acteurs, jeunes et moins jeunes, recrues ou expérimentés.
On ne peut pas véritablement soupeser les qualités de The Tree of Life, surtout pas avec des mots. Il faut vivre le film comme une véritable et traditionnelle expérience de cinéma : dans une salle obscure, sur grand écran, dans des conditions optimales. C'est là qu'on peut véritablement mesurer l'impact émotif des manoeuvres artistiques de Terrence Malick. On les trouverait prétentieuses et froides que ça ne serait pas plus faux que si on les trouve bouleversantes et saisissantes. Mais voilà un véritable objet de cinéma.
Les comparaisons entre Malick et Kubrick - ne serait-ce que par l'aura qui accompagne leur personnage public - sont faciles et permettent une mise-au-point : The Tree of Life, aussi enivrant soit-il, ce n'est pas 2001. Or, il serait prématuré et irrespectueux envers une oeuvre aussi ambitieuse que de la limiter à ce type de critique impressionniste à la semaine - un objet filmique comme The Tree of Life, comme le bon vin, prend de la valeur en vieillissant, se raffine avec le temps. Aucun jugement ne saurait être définitif avant que le Temps ait passé.