On dira ce qu'on voudra, les Québécois aiment s'amuser (qui n'aime pas ça?). C'est un constat qui n'est pas bien difficile à faire; la popularité démesurée - et le nombre! - des humoristes d'ici n'a pas d'équivalent, pratiquement comme le nombre de comédies qui prennent l'affiche chaque année sur nos écrans. Se divertir, oublier ses problèmes du quotidien, ce sont des idées profondément ancrées dans le concept même de plaisir et il y a autant de moyens de s'amuser que d'individus. Cela a donné plein d'idées à plein de gens différents (« moi, je sais comment faire rire les gens! ») qui y vont, bon an mal an, de leur tentative pour divertir le bon peuple qui, même s'il a été floué par le passé, se prête gracieusement au jeu (c'est son argent, après tout). L'appât est la plus récente de ces tentatives, et non la moindre. Déjà, quand on peut quantifier le rire, on est face à un problème, alors imaginez si on devait le qualifier...
L'agent spécial français Venture Choukroune (hum, ça me donne faim) est assigné à une mission spéciale avec l'agent Prudent Poirier (on pourrait faire des blagues d'arbres fruitiers, me semble que ça serait drôle), un agent de la Police Métropolitaine. Ventura essaie de mener une enquête afin de découvrir pourquoi on a assassiné Guido Carboni, un haut-placé du crime organisé, mais il doit plutôt réparer les gaffes de son partenaire, particulièrement maladroit, alors que les deux sont la cible d'un mystérieux complot (pas si mystérieux remarquez).
Les scènes s'enchaînent sans lien entre elles, au nom d'une blague douteuse (indice : jack-strap) ou d'une situation rocambolesque qui, plutôt que d'être drôle, étonne par sa stupidité. Et sa prévisibilité. On chercherait des coupables toute la journée qu'on ne trouverait pas d'autre conclusion : la faute à ce scénario débile, qui ne s'est décidément pas inquiété de quoi que ce soit.
La mince intrigue de L'appât est le prétexte pour remâcher des blagues déjà dites, comprises et assimilées, et plutôt que de voir à travers cet humour social une fine observation de la société, on y sent un profond mépris, comme si le mot d'ordre était « ça suffira, ça suffira », comme si on n'était pas en droit d'exiger davantage, en tant que spectateur.
Ce n'est pas parce que je ne sais pas m'amuser que L'appât est un échec. En fait, c'est justement parce que je sais m'amuser que je sais quand je ne m'amuse pas et, dans ce cas-ci, cela ne pouvait pas être plus évident. Les blagues ethniques et les stéréotypes culturels de L'appât sont accablants de simplicité; maman fait peur aux méchants (au téléphone), le gros Québécois balourd sacre, on dit des méchancetés sur son patron en pensant qu'il ne nous entend pas, mais au fond, il nous entend, on fait dire des méchancetés à un gros cave à son insu dans une langue qu'il ne comprend pas, un petit débat linguistique (on dit « une épée » ou « un épais »?). Wow.
La croyance populaire veut que si on rit, c'est parce que c'est drôle, et qui si on ne rit pas, c'est parce qu'on est certainement malheureux et qu'on ne comprend pas. Mais le rire est imprévisible, le rire est susceptible, le rire, c'est un moyen détourné d'être audacieux (les meilleurs sont ceux qui étonnent), de commenter son époque en révélant les travers des gens. Ce n'est pas qu'un réflexe, ce n'est pas assuré, c'est... c'est sérieux. De la part d'Yves Simoneau, avec les talents d'humoristes de Rachid Badouri et Guy A. Lepage, on s'attendait à beaucoup mieux.