Quittant le registre juvénile des comédies pour adolescents puceaux et drogués qui ont fait sa renommée, Seth Rogen s'offre un véritable défi avec L'agent provocateur, un film qui sera profondément mal-compris. Les qualificatifs pour le décrire (pour le décrier?) sont les mêmes qu'avec les Superbad et autres : audacieux, irrévérencieux, innovateur. Mettant en scène un américain moyen sûr de lui, fier de porter une arme, fier d'être gros, de parler fort, ce nouveau film, s'il n'est certainement pas le plus drôle du lot, est le plus connoté. Aux antipodes d'un Paul Blart : Flic du mail, le film n'est pas un « feel-good movie », c'est un « feel-bad movie » repoussant et désagréable, à moins de vouloir mettre à l'essai ses propres limites. Exercice fascinant.
Ronnie Barnhardt est le chef de la sécurité d'un centre commercial de banlieue, là où sévit un exhibitionniste qui effraie les clients, dont la belle Brandi, de qui Ronnie est amoureux. Lorsqu'un enquêteur de la police municipale vient mener l'enquête, Ronnie se sent menacé et se lance à la recherche du pervers tout en tentant de séduire Brandi et en cherchant à réaliser son rêve de devenir un vrai policier.
Ronnie est ce qu'on pourrait communément appeler « un gros cave », trop bête pour savoir qu'on se moque de lui et rassuré dans sa manière de vivre. Ses fautes de goûts vestimentaires ne sont que des symptômes mineurs de son malaise intérieur, manifesté plus efficacement dans sa relation avec sa mère ou une visite fort révélatrice chez une psychologue. Voilà pour les principaux moments d'humour du film; les blagues sont audacieuses et le scénario est bourré de surprises. Encore une fois, il s'agit de contourner les clichés, pas nécessairement de les éviter complètement, afin d'augmenter leur efficacité comique et éditoriale. Parce qu'il ne fait aucun doute que ce Ronnie, qui se sent menacé lorsqu'une force extérieure vient contrôler son centre commercial, représente toute une nation qui a elle aussi des troubles identitaires. C'est la première fois de mémoire d'homme qu'un projet impliquant Rogen ratisse aussi large, se permet un commentaire aussi virulent et posé sur un phénomène de société.
La réalisation dynamique est d'une justesse rare et les comédiens, à l'exception d'Anna Faris qui surjoue affreusement, sont également d'une grande efficacité. L'humour est méchant, raciste même, ce qui confirme encore plus l'intention éditoriale derrière ce film qui n'est pas tant une comédie qu'un véritable drame drôle. Les tourments des personnages sont dignes de n'importe quel larmoyant mélo où le héros surmonte tous les obstacles pour réaliser son rêve. Sauf qu'ici, le héros est un vrai loser.
Rogen, qui livre sa meilleure performance en carrière, se surpasse sans se trahir. Le ridicule est au centre du film, mais voilà que Rogen et le réalisateur et scénariste Jody Hill s'en servent pour pointer du doigt. Ils le font sans insister, se cachant derrière l'humour.
Condamné à être incompris, L'agent provocateur partage un malaise grandement actuel à une salle qui ne s'y attendra peut-être pas. Ses qualités, qui démontrent une intelligence et un respect du spectateur supérieurs, sont de ces choses qui ne se font pas au cinéma, comme montrer pendant de longue minutes un homme courir nu. Mais, en tant que spectateurs conscients, adultes, à la recherche d'un réalisme tout factice, on est en droit d'exiger qu'on nous montre les hommes, gros, laids et exhibitionnistes, qui terrorisent les clients d'un centre commercial, le plongeant dans un psychodrame américain actuel et révélateur. Voilà qui fait un film fort et d'autant plus méritoire qu'il utilise la notoriété d'une vedette pour s'adresser au plus grand nombre.