Créateur imprévisible, Spike Jonze trouve encore une fois le filon, dans ce qui s'avérera peut-être dans quelques années son film le plus pertinent; tout dépendra de l'évolution de notre société et de ce rapport en constant changement avec la technologie. Radiographie d'un phénomène social et film d'une humanité bouleversante, Her est très certainement le premier grand film de l'année, son intelligence et la finesse de son observation menant au récit magnifiquement tragique d'un homme seul. La solitude est l'avenir des grandes villes, et le drame d'anticipation que propose Jonze se sert de ce brillant ressort dramatique pour proposer un film émouvant, drôle et intelligent.
Interprété magnifiquement par Joaquin Phoenix, le personnage de Theodore Twombly est un héros auquel il est facile de s'identifier. Il est charmant, il est intelligent, il est esthétique et pourtant, il est seul. Phoenix en fait un homme plausible, vibrant, jamais misérable. Sa grande réussite, qui est aussi celle de Jonze, aura été de rendre autant de détresse crédible sans s'abandonner à la facilité du mélodrame et de l'émotion facile. Il faut une véritable maturité pour incarner avec autant de finesse un tel personnage.
Les prestations senties des Amy Adams, Olivia Wilde et Scarlett Johansson, qui ne prête que sa voix au programme informatique duquel Theodore tombe amoureux, contribuent aussi à la force du long métrage, qui passe régulièrement de l'humour au drame et vice versa. Les courtes apparitions des deux premières sont marquantes, tandis que Johansson prête sa voix unique à Samantha, dont le regard naïf et supra-intelligent à la fois sur le monde vient désarçonner nos perceptions.
D'ailleurs, la réussite du film passe par ce monde futuriste créé par Jonze, qui se manifeste par quelques détails et qui suffit à rendre crédible le changement de paradigme des relations amoureuses.
Her est un film romantique, mais il évite les pièges les plus récurrents du genre, ce qui le rend imprévisible, étrange mais révélateur de travers actuels d'une société qui est appelée à évoluer. Heureusement, jamais l'omniprésence de la technologique n'est traitée comme une intrusion malsaine qui détruit la vraie connexion de personne à personne, ce qui aurait rendu le film complètement aride. La finale laisse perplexe, puisque sa portée philosophique dépasse sa portée dramatique. Sauf qu'en y pensant bien, on ne croit pas qu'on aurait pu trouver mieux sans se laisser piéger par les clichés du film romantique.
Her est déjà l'un des jalons les plus importants de 2014. Sa finesse, le talent de ses interprètes et la force de ses émotions le rendent incontournable, et sans ces quelques redondances qui affectent le dernier tiers du film, on parlerait déjà de chef-d'oeuvre contemporain.