Entre sa carrière d'héroïne de films d'action et sa renaissance comme cinéaste, il était légitime d'oublier qu'Angelina Jolie pouvait également être une excellente actrice. Pourquoi ne pas revoir Changeling, A Mighty Heart et Girl, Interrupted pour s'en convaincre? Dans Maria, elle trouve probablement son plus grand rôle en carrière.
Elle prête ses traits à Maria Callas, la légendaire cantatrice qui a connu une vie glamour et tumultueuse. Retirée à Paris dans les années 1970, elle écoule ses derniers jours la tête dans le passé, dépendante aux médicaments.
Cette figure énigmatique et insaisissable est campée avec brio par la star, qui s'efface totalement à l'écran. Immenses lunettes, regard glacial, présence hautaine et désincarnée : le personnage n'est pas là pour se faire aimer. La populaire comédienne module son jeu à la perfection, faisant ressentir sa lassitude, sa profonde solitude.
Bien que les têtes défilent autour d'eux (le casting hétéroclite qui comprend Pierfrancesco Favino, Alba Rohrwacher, Valeria Golino, Kodi Smit-McPhee et Vincent Macaigne fonctionne haut la main), tous les yeux sont rivés sur Jolie. Après des années de vache maigre (sa dernière apparition au cinéma était dans le désastreux Eternals), la voilà enfin se voir offrir une partition complexe et élaborée. Vivement une nomination aux Oscars!
L'apport du cinéaste chilien Pablo Larraín n'est évidemment pas négligeable à ce retour insoupçonné. Il est toujours là pour élever ses interprètes, même les plus douées (parlez-en à Natalie Portman et Kristen Stewart). Il sait surtout comment offrir un biopic qui sort de l'ordinaire, que ce soit El Conde, Neruda, El Club, No et Tony Manero. Chez lui, le classicisme n'a pas raison d'être. Au contraire, il faut bouleverser le genre, l'amener ailleurs à défaut de le révolutionner.
Avec Maria, il termine sa trilogie sur des femmes importantes du XXe siècle entamée par l'incendiaire Jackie et le mélancolique Spencer. Il emprunte cette fois la forme de l'opéra en trois actes. Le passé se mêle périodiquement au présent, laissant émaner son lot de fantômes. La photographie exceptionnelle alterne entre la couleur et le noir et blanc, jouant allègrement avec les ratios et les supports.
Cette exploration formelle n'a rien du trip esthétique. Elle construit au contraire une réflexion puissante sur l'espace, le temps et la mémoire. Dès la scène d'ouverture, la profondeur de champ de la demeure de Maria dit tout sur son état d'esprit. Sa conscience arpente les pièces de sa maison et des lieux clés de la Ville Lumière afin de mieux se souvenir. Le temps devient alors élastique, et ce procédé est utilisé à des fins oniriques (l'influence du camarade Raoul Ruiz est palpable) et mnémonique (Virginia Woolf, qui d'autre?).
Le moteur du récit débute dans le cliché le plus éculé (l'héroïne qui se confie à un journaliste avant de voir son passé défiler... comme dans Jackie) pour mieux être évacué. Maria discute plutôt avec des gens qui ne sont pas là. Qu'elle le sache pertinemment ou pas (à cause de la médication ou un problème de santé mentale), cela n'a pas d'importance. Cet élément vient davantage troubler la relation entre le vrai et le faux, le réel et le fantasme, qui peut exister dans ce type de production fictionnelle inspirée de faits véridiques.
Scénariste du précédent Spencer, Steven Knight tente de varier une recette éprouvée en y arrivant plus souvent qu'autrement. Si quelques dialogues déçoivent en étant trop explicatifs, qu'il y a parfois des séquences inutiles ou redondantes et qu'un certain sentiment de déjà-vu finit par s'installer, la densité dramaturgique est indéniable. La quête identitaire de l'héroïne prend peu à peu toute la place, amenant avec elle une réflexion probante sur la popularité, l'enfermement et la difficulté d'être une femme libre à une époque dominée par les hommes.
La voix enchanteresse de Maria Callas s'occupe du reste. Elle donne des frissons, ponctuant de majestueux airs classiques qui sont sans cesse rehaussés par une mise en scène d'une rare élégance. Si l'on rajoute à tout cela la performance éblouissante d'Angelina Jolie, on obtient un film de qualité supérieure, qui séduit même en laissant l'émotion en retrait. Le portrait n'est évidemment pas définitif. Il laisse plutôt place à l'interprétation en s'éloignant des conventions, en disant bien plus long sur son sujet qu'un documentaire hagiographique anonyme comme Maria par Callas.