Le succès mondial d'Harry Potter a fini par infantiliser les sorciers et les sorcières, les rendant pratiquement inoffensifs et même attachants. Devant ce détournement "historique", The Witch revient aux sources folkloriques de ces contes de fées : ceux qui donnent froid dans le dos et qui font battre le coeur plus rapidement.
La sorcellerie est un autre mot ici pour inexplicable. Une raison qui doit forcément donner un sens à ces bois menaçants, à ces animaux inquiétants, à ces récoltes ravagées et à ces mystérieuses disparitions d'enfants qui affligent une famille américaine puritaine du 17e siècle. Un combat permanent entre les faits tangibles et le surnaturel qui s'opère, aux confins des territoires délimités par The Blair Witch Project, The Village et The Crucible.
Les sens sont les premiers à être assaillis par cette création qui a été récompensée à Sundance. La brume et le brouillard suffisent à instaurer une atmosphère malaisante, créant des ombres fougueuses lorsque la lumière des bougies y accède enfin, avant d'être complètement enterrée par une pénombre glaçante. Le noir ne tarde pas à triompher et, avec lui, des hallucinations furtives et oniriques tant ce qui apparaît devant nos yeux risque bien d'avoir été imaginé de toutes pièces. Ou peut-être pas.
Cet esthétisme extrêmement soigné et respectueux des moeurs de l'époque (entre les films médiévaux de Bergman et le documentaire) est accompagné d'un travail considérable sur le son. La musique sinistre n'est composée bien souvent que de simples murmures ou de cris diffus qui deviennent rapidement angoissants. Il faut toujours en mettre moins que plus pour créer la meilleure ambiance possible et le jeune cinéaste Robert Eggers l'a compris avec ce premier long métrage suggestif à souhait qui aurait pratiquement pu être muet. Il emprunte d'ailleurs des motifs à Häxan, cet immense classique de l'épouvante et du fantastique. Pas surprenant que le réalisateur espère un jour refaire Nosferatu.
Le récit en place peut paraître mince et il aurait mérité d'être resserré. L'abondance de dialogues peut surprendre, tout comme le symbolisme proéminent à la Antichrist et le manque d'action chronique. Développer une tension à la Shining (les liens sont immenses entre les deux opus) prend du temps et si les premiers sursauts ne sont pas totalement convaincants, les suivants le sont davantage. Une répétition des événements permet aux personnages de prendre de la consistance et les interprètes récompensent les plus patients en livrant des performances intenses, hantées même. Le scénario ingénieux laisse supposer que le désordre a une fonction religieuse, qu'il est peut-être causé par ce douloureux passage de l'enfance à l'âge adulte avec toutes les tentations qui y sont liées et même à la difficile émancipation de la femme dans une société d'hommes.
Devant autant de suppositions magiques ou terre-à-terre, l'oeuvre se permet de ne pas choisir et elle suit cette logique souvent infernale jusqu'à sa finale plus explicative. Tout d'un coup, le rideau se lève et plusieurs réponses affluent, ce qui crée une déroute semblable à celle du Wicker Man original, Suspiria et le premier The Last Exorcism. Une révélation qui ne sera pas pour tous les goûts et qui ouvre la porte grande à davantage de suppositions et même à une suite.
Devant un désir des gros studios hollywoodiens d'inonder le lucratif marché horrifique de suites quelconques, d'antépisodes ratés et de remakes inutiles, le cinéma anglo-saxon indépendant prend plutôt le pari de miser sur l'originalité. Une décision salvatrice qui s'est avérée gagnante pour It Follows, The Babadook et maintenant The Witch qui arrive à renouveler une formule éprouvée en revisitant ses fondations. L'idéal pour en ressortir avec une bonne frousse, pas nécessairement immédiate, mais qui grandit une fois que les lumières de la salle s'allument.