Souhaitant sans doute reprendre au cinéma hollywoodien les parts de marché perdues aux mains des blockbusters américains sur son territoire, le cinéma français s'essaie de plus en plus au cinéma de(s) genre(s). C'est-à-dire que « film français » n'est plus une catégorie, et qu'il faut maintenant parler de « film de guerre français » et de « film d'amour français ». Après l'infect « film d'action français » Largo Winch, le cinéma hexagonal s'essaie au film d'espionnage. Mais - on aurait dû s'en douter - quand le cinéma français fait un film d'espionnage à l'américaine, ça reste « la méthode française ».
Au début des années 80, en pleine Guerre Froide, un ingénieur français résidant à Moscou, Pierre Froment, est contacté par un haut-gradé du KGB, Sergei Grigoriev, qui devient informateur pour les services secrets français. Mis au fait de la situation, le Président Mitterrand contacte son homologue américain, Reagan, et les deux hommes découvrent un réseau d'espionnage sophistiqué en Occident. Pendant ce temps, à Moscou, Sergei a des problèmes familiaux et Pierre met en danger ses proches afin de faire passer l'information.
Après le très délicat Joyeux Noël, Christian Carion s'intéresse à nouveau à la petite histoire dans la grande en posant sa caméra sur les problèmes familiaux et conjugaux de ces deux espions. Avec beaucoup de dynamisme et de sérieux, le réalisateur construit un thriller efficace, dédié le plus souvent à l'atmosphère inquiétante plutôt qu'au thriller pur. Tout de même, L'affaire Farewell est un film réalisé avec sérieux, qui a parfois les airs d'une machine bien huilée fonctionnant sur un mécanisme quelque peu éculé plutôt que d'un film véritablement inspiré par un besoin de créer. Cela n'affecte en rien ses qualités, sinon que de transférer le plaisir des sens à celui de la rationalité.
Emir Kusturica, qui tient ici un premier rôle majeur dans un long métrage - en russe et en français au demeurant - tire son épingle du jeu avec une interprétation particulièrement prenante. On n'ira pas jusqu'à croire que le grand réalisateur est aussi un grand acteur; il était probablement fait pour un seul rôle, celui-là, et il s'avère tout à fait convaincant. Est-ce une simple coïncidence - ou une vulgaire hallucination - qu'on ait l'impression que la conscience de la caméra affecte son jeu d'un maniérisme positif, d'une idée de grandeur et de respect du cinéma? À ses côtés, Guillaume Canet s'avère bien moins passionné, même s'il est, comme d'usage, très efficace.
L'affaire Farewell n'est cependant pas très dédié au genre du thriller, et se place plutôt du côté de l'humain. Pour autant de scènes prévisibles et convenues de disputes conjugales et d'infidélité, d'autres atteignent des sommets d'émotivité, en particulier lorsque la finale du film se précipite. C'est là qu'on comprend le talent qu'il a fallu pour mettre tous les éléments à la bonne place afin de bâtir un dénouement prenant. Les problèmes familiaux particulièrement stéréotypés des deux personnages principaux s'y trouvant résumés et admis au nom de cette conclusion, qui convainc sans passionner. Un peu comme le film lui-même, dont on ne peut que constater les qualités.