Le premier film de Simon Galiero, Nuages sur la ville, démontrait la conscience sociale de son auteur, son sens de l'humour et de l'observation et sa culture cinéphilique, mais parlait de gens qui avaient bien peu de chances de le voir. Le dialogue entre le film et ses spectateurs était improbable ou aride. Dans La mise à l'aveugle, le réalisateur conserve sa faculté d'observation supérieure et son humour, cette fois dans un contexte plus accessible, donc plus signifiant car susceptible de trouver un ou plusieurs spectateurs pour les constater. C'est aussi plus cohérent de parler de la société à ceux qui la composent principalement - ne serait que parce qu'ils sont majoritaires - qu'à ceux qui les méprisent déjà anyway.
La mise à l'aveugle est un film très amusant. Il ne faut pas s'en étonner; Nuages sur la ville aussi était très drôle. Le réalisateur souligne, parfois avec une habile ironie, l'hypocrisie ambiante avec une mise en contexte qui, à défaut d'être révolutionnaire, est particulièrement cohérente (pas de surprise là non plus). Denise, l'héroïne, est un personnage central inédit; cela dynamise le récit, qui peut ainsi se développer de manière imprévisible tout en conservant une bonne crédibilité.
Galiero, ironisant sur les riches et prenant résolument le parti de « paumés », écrit si finement ses personnages qu'on n'a jamais l'impression de voir de la méchanceté dans sa caricature. Cela rend son film particulièrement intéressant, même s'il demeure peu ambitieux dans les faits, moins formellement conscient que l'était Nuages sur la ville. Cela contribue d'ailleurs à sa cohérence, tout comme l'économie (probablement forcée) de moyens.
Rien de tout cela ne serait possible sans Micheline Bernard, une actrice qu'on voit rarement au cinéma, qui démontre aussi un naturel prenant et une maîtrise hors du commun. Peu de détails rendent son personnage plausible, et son attitude froide et désintéressée pourrait aisément rebuter; pourtant, la chaleureuse actrice convainc à chaque instant. Elle vole littéralement la vedette à ses collègues, qui n'ont pourtant rien à se reprocher et qui sont eux aussi très efficaces. Le film gagne beaucoup à ce qu'ils soient relativement inconnus; ils appartiennent davantage à l'univers du film qu'à un star system québécois.
La mise à l'aveugle parvient à être un film « populaire » sans travestir son sens ni son auteur. On ne peut prédire si le film trouvera son public, trop de facteurs sont à considérer (dont une part de chance, comme au poker), mais le dialogue entre le cinéma et le spectateur est possible, et ceux qui oseront prendre le pari trouveront certainement quelque chose à tirer d'un film qui cache bien son jeu. Et afin d'éviter encore plus de jeux de mots, on s'arrête ici.