Pour son premier long métrage en anglais, Pedro Almodóvar convie deux actrices d'exception dans un drame de chambre bouleversant qui ne manquera pas de faire réagir. C'est d'ailleurs pour The Room Next Door que l'immense cinéaste espagnol a enfin obtenu la consécration suprême d'un grand festival de cinéma : le Lion d'Or à la dernière Mostra de Venise.
La maladie rapproche deux amies qui ne se sont pas vues depuis des années. Atteinte d'un cancer incurable, l'ancienne reporter de guerre Martha (Tilda Swinton) demande à la romancière Ingrid (Julianne Moore) de l'accompagner afin de surmonter les intempéries et d'enjoliver les jours gris. Face aux souffrances à venir, mettre volontairement fin à ses jours demeure une solution...
La création de Mères parallèles, le précédent film du réalisateur, a laissé des traces chez Pedro Almodóvar. Il s'agissait de son projet le plus politisé à ce jour, questionnant le passé trouble de son pays. Le voici continuer à explorer cette mouvance plus sociale et engagée avec son adaptation du roman What Are You Going Through de Sigrid Nunez, traitant des conséquences de la guerre, des traumas, d'écoanxiété, de capitalisme effréné, de la montée de l'extrême droite et, surtout, d'euthanasie. Ce thème n'est peut-être pas nouveau au cinéma, mais il continue à faire couler beaucoup d'encre, surtout aux États-Unis.
Malgré une multitude de sujets « importants » et l'omniprésence du drame en place, The Room Next Door n'est jamais une oeuvre morose ou déprimante. Au contraire, la légèreté amène un souffle nouveau à la gravité, permettant aux cinéphiles de reprendre leur respiration. Rires et larmes se succèdent au tournant, coulant le plus naturellement possible, comme si Woody Allen s'invitait chez Ingmar Bergman en conviant Douglas Sirk.
La construction du récit rappelle Douleur et gloire, l'opus le plus autobiographique de son auteur. Deux anciennes amies finissent par renouer, pour le meilleur et juste pour le meilleur. Ils se replongent dans le passé, avec joie et mélancolie, et ces épisodes se matérialisent à l'écran. Un conflit violent n'empêche pas deux hommes de s'aimer, tandis qu'une relation mère/fille houleuse semble provenir tout droit de Julieta.
Ces escapades secondaires à l'intérêt limité ne tiennent heureusement pas dans la durée, et le récit se concentre progressivement sur les deux héroïnes. Tilda Swinton est magnifique en malade encore lucide, et la façon dont elle parle de sa condition force l'admiration. Face à elle, Julianne Moore se révèle plus effacée, mais tout aussi subtile et convaincante. Bien que le réalisateur ne maîtrise pas nécessairement toutes les nuances de la langue de Shakespeare (ce qui paraissait dans ses oubliables courts métrages anglophones Strange Way of Life et The Human Voice), les dialogues demeurent généralement naturels, mais évidemment moins fluides et musicaux qu'en espagnol.
La force du scénario d'Almodóvar est de célébrer la vie sans se dérober à la mort. La maladie n'empêche pas Martha de prendre le temps de reconnecter avec la nature, d'écouter les oiseaux, de méditer sur l'art et même de regarder un film, peut-être le plus drôle du cinéma (Seven Chances de Buster Keaton). Les références sont nombreuses, de Virginia Woolf à James Joyce, en passant par Black Narcissus de Michael Powell et Emeric Pressburger et The Dead de John Huston, alors que le ton n'est jamais didactique ou moralisateur, bien au contraire.
Livrant généralement des mises en scène chargées et même esthétisantes, l'homme derrière les classiques Tout sur ma mère et Parle avec elle opte pour la sobriété. Le rôle des couleurs est toujours aussi important, et les mélodies de son éternel complice Alberto Iglesias ne manquent pas de titiller différents genres. L'ensemble est toutefois bercé par un souffle tranquille où la forme cinématographique est au service de l'histoire et, surtout, des interprètes. La magnifique photographie d'Eduard Grau (Passing, A Single Man) finit d'ailleurs par former un cocon où l'on peut s'y lover.
Superbe hymne à l'existence et à l'amitié, The Room Next Door s'avère un mélo déchirant et poétique qui, au-delà de ses considérations morales, s'ancre en nous. Pedro Almodóvar contemple sa propre mortalité sans se défiler, et convie à la danse deux interprètes en pleine possession de leurs moyens.