Que l'on apprécie Catherine Deneuve pour tout ce qu'elle représente dans le cinéma français, la fougue de Juliette Binoche, la désinvolture de Marion Cotillard et la manière dont Anne Dorval élève son jeu aux moments opportuns, il faut avouer qu'Isabelle Huppert est véritablement dans une classe à part, trônant au sommet des meilleures interprètes de la francophonie. Elle prend constamment des risques dans le choix de ses rôles, travaillant avec les plus grands, étant capable de transformer un long métrage ordinaire en quelque chose digne d'intérêt.
La comédienne portait le récent et excellent Elle sur ses épaules et elle refait le coup avec L'avenir. Voilà deux films très différents dans leur ambiance et leur finalité qui, étrangement, se ressemblent énormément. Il s'agit de deux destins qui sont broyés par l'existence. Deux femmes qui perdent beaucoup de choses - dont leur dignité - et qui doivent se refaire. Entre un chat qui a tout vu, une mère envahissante, un (ex)mari lâche, des enfants pas toujours responsables, une naissance et une mort soudaine, l'héroïne se demande à qui faire confiance lorsque la vie lui réserve de mauvaises surprises.
Là s'arrêtent cependant les comparaisons. L'opus de Paul Verhoeven est nettement plus sombre, malsain et dérangeant avec ses mélanges incessants de genres. D'une nature plus classique et posée, L'avenir offre une expérience peut-être plus organique et intellectuelle, se fondant davantage sur les mots que les actions de ses personnages. Malgré une dichotomie un peu simpliste (la méchante ville capitaliste versus la gentille nature salvatrice, l'élan de cette jeunesse qui offre un second souffle à une âme éplorée), la magie opère tout en douceur et en subtilité, faisant rejaillir l'émotion ici et là.
Ce récit, qui a été récompensé plus tôt cette année à la Berlinale de l'Ours d'argent du meilleur réalisateur, porte indéniablement la marque de sa cinéaste Mia Hansen-Love. Cette jeune metteure en scène de 35 ans qui a déjà été critique (aux prestigieux Cahiers du Cinéma) et actrice (chez Olivier Assayas) en est déjà à son cinquième long métrage et elle possède un style bien à elle. Sa réflexion sur le temps est de chaque plan, de tous les instants, alors que les individus ne veulent surtout pas passer à côté de quelque chose d'important. Rien n'est absolu - que ce soit l'amour, l'emploi et le savoir - et si la mélancolie d'antan opère à plein régime, un renouveau est toujours possible.
Avant cette évolution souhaitée et cette renaissance souhaitable, le climat de dépression est évidemment à la perte. Le titre n'apparaît-il pas à l'écran en surplombant une pierre tombale? La société se désagrège, les idéaux de Mai 68 ne tiennent plus, un mariage se rompt, les discussions philosophiques sont remplacées par de futiles bienséances... Une usure qui provoque une perte de contrôle chez l'héroïne prof et bourgeoise, qui se transformera en Phénix au contact d'un ancien étudiant. Comme quoi même les meilleurs remparts de civilité et de transmission finissent par se rompre et cette tristesse infinie qui est doublée d'une lumière tardive (rien n'est pourtant totalement perdu et il ne faut pas se sentir responsable de cette noirceur soudaine) est à l'image du film, touchant et profondément humain.
Devenue une experte dans la façon souvent contradictoire de capter et d'opposer liberté et solitude (c'était le cas d'Eden, Le père de mes enfants et de l'ensemble de sa filmographie), la créatrice rappelle avec L'avenir qu'elle est sur une lancée irrésistible et qu'elle deviendra à coup sûr une grande cinéaste. Son écriture minimaliste est riche de sens et sa direction d'acteurs permet à l'immense Isabelle Huppert de briller à nouveau.