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Une bonne idée qui s'étire
Woody Allen disait qu’une bonne idée fonctionne 5 minutes à l’écran, après le spectateur a compris et l’effet s’étiole. Zone d’intérêt part d’une très bonne idée : les cris, les coups de feu hors-champs, la fumée noire qui monte dans le ciel pendant que les enfants s’amusent et que les femmes papotent, c’est l’essentiel de l’expérience qui nous est offert. Il y a bien quelques trouvailles, quelques fines observations, mais Glazer refuse de nous raconter une histoire, c’est la banalité du quotidien qu’il veut filmer avec l’holocauste en arrière-plan. C’est louable, mais on s’ennuie du réalisateur de Sexy Beast.
Avec 4 films en 25 ans, tous des ovnis cinématographiques, Jonathan Glazer mérite notre respect. Il a toujours su prendre des risques et donner à ses interprètes des rôles hors-normes, Ben Kingsley, Nicole Kidman et Scarlett Johansson en ont bénéficié, mais ici Sandra Hüller se font dans le décor, rien à voir avec sa performance d’Anatomie d’une chute. Glazer veut frapper notre imaginaire, nous faire ressentir les atrocités de l’holocauste, sa critique est virulente, mais le message est si fort qu’il n’ose pas confronter ses personnages à son propre sujet. Dommage.
Infiltration du Mal.
Avec le Grand Prix du Jury mérité au Festival de Cannes cette année, il est clair que nous ne visionnons pas une œuvre facile et encore moins distrayante. Jonathan Glazer a la brillante idée de nous exposer comment le Mal peut s’infiltrer dans le quotidien de la manière la plus normale possible. Pour cela, il choisit de nous montrer la vie de la famille nazie du chef du camp d’Auschwitz (et le film a été tourné sur les lieux mêmes...). La démonstration est forcément glaciale et magistrale, utilisant presque le format et la tonalité d’un documentaire d’époque pour nous immerger en plein dans la banalisation du Mal.
« La Zone d’intérêt » est le quatrième long-métrage de Jonathan Glazer en près de vingt-cinq ans, un artiste très actif dans le monde des clips et de la pub qui s’octroie quelques sorties cinématographiques par moments. Et ses quatre films sont tous étranges, peu communs, clivants voire proches de l’expérimental. Une sorte de Terrence Malick ancienne période (pour la rareté de ses films) qui délaisserait l’onirisme et des images contemplatives contre d’autres plus rigides et une froideur clinique et aseptisée. Si l’on met de côté son premier film « Sexy Beast », polar sympathique et relativement accessible, « Birth » était un drame trouble et particulier épousant le fantastique (mais de manière très réussie) puis vint la déflagration sensorielle « Under the Skin » et sa tueuse extraterrestre incarnée par Scarlett Johansson. Une œuvre unique, éminemment clivante et hautement bizarre qui nous avait totalement laissé sur le bas-côté.
On peut donc dire que lorsque ce cinéaste se lance dans un film, c’est pour nous offrir quelque chose d’étrange et d’inédit et à ce niveau c’est généralement plus que réussi et probant. Ici, Glazer n’hésite parfois pas à appuyer un peu trop ses effets et sa démonstration. Si l’apparition du titre en noir sur blanc laissant l’écran devenir petit à petit totalement noir est plutôt de rigueur quoique facile tout comme le plan inaugural voyant cette famille allemande en pleine partie de campagne bucolique et estivale, la suite manque parfois de nuances et de finesse dans certains aspects comme l’épisode des cendres ou encore l’écran rouge en plein milieu de film. Pareillement, certaines digressions nous apparaissent de trop et inutiles dans la dernière partie comme cette petite fille aux pommes filmées en mode nuit (l’équivalent de la petite fille en rouge de « La Liste de Schindler de Spielberg?) ou encore les plans sur ces femmes de ménage au musée d’Auschwitz de nos jours qui dénotent trop du reste et nous sortent de l’expérience. Une fin qui pourrait appartenir à un autre film et n’appuient pas plus le propos qu’on a bien saisi jusque-là. La symbolique de la fin étant donc peut-être un peu trop surlignée.
Hormis ces quelques réserves ajoutées à l’austérité nécessaire du projet, « La Zone d’intérêt » est d’une puissance réflexive immense. Toute l’horreur de la situation se joue en hors champ et c’est là que l’accompagnement sonore démentiel apporte toute sa force au film. Des aboiements, aux coups de feu en passant par le bruit des fours et des cris en allemand, on sent l’horreur qui se joue derrière les murs de cette maison pensée comme un petit Jardin D’Eden. Un Paradis à côté de l’Enfer. Le choix de faire se dérouler le film en plein été est tout à fait adapté, exacerbant encore plus le contraste avec ce qui se passe dans le camp. Le pouvoir de suggestion, un peu comme dans un film d’horreur, est ici poussé à son paroxysme. Et c’est lors d’une petite fête entre nazis, à la frontière d’un bonheur suranné et insouciant, que le procédé choisi par Glazer prend toute sa force.
Christian Friedel et Sandra Huller (décidément à la fête à Cannes puisqu’aussi à la tête de la Palme d’Or « Anatomie d’une chute ») n’ont pas grand-chose à jouer si ce n’est la normalité d’une famille allemande durant la Guerre. L’aspect quasi- documentaire est juste perturbé par les impeccables travellings, aussi maniaques que l’idéologie nazie et eux très cinématographiques du cinéaste. La résolution parfaite de l’image termine de rendre ce tableau supposément idyllique complètement malaisant. Et on a également droit à un exposé concret de l’horreur de la Solution Finale envisagée comme n’importe quel fonctionnement d’entreprise basée sur le rendement et l’efficacité. Tétanisant! « La Zone d’intérêt » n’est donc pas une œuvre facile mais une proposition certes imparfaite mais radicale et puissante comme on en voit très peu.
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