Qui n'est jamais sorti d'un film sans trop savoir s'il a aimé ou pas? Cette réaction tout à fait normale peut être éprouvée devant la nouvelle version de Journal d'une femme de chambre. Mais lorsque le long métrage reste en tête des heures et des jours après son visionnage, c'est plutôt bon signe.
Réadapter ce classique littéraire publié en 1900 par Octave Mirbeau peut être casse-gueule. Surtout après les brillantes transpositions de Renoir et de Bunuel. Malgré tout le talent que l'on connaît au cinéaste Benoît Jacquot, le pari est loin d'être gagné. Et le doute s'installe après la très intrigante entrée en matière.
Notre pauvre femme de chambre (Léa Seydoux) trouve du travail chez une nouvelle famille qui cherche à abuser d'elle, psychologiquement et sexuellement. L'héroïne n'est pas une victime innocente, loin de là, sauf que ses actions ne sont pas toujours intelligibles. Entre les multiples jeux de manipulations, les motivations semblent manquer de clarté et les personnages de profondeur.
Une certaine barrière s'érige et elle n'existe pas à cause de la langue utilisée (le français un tantinet vieilli) ou l'époque (le début du 20e siècle qui est encore marqué par l'affaire Dreyfus). Ni des thèmes qui sont riches et profonds, d'une contemporanéité certaine : la servitude volontaire, l'esclavagiste salarié, l'antisémitisme, les inégalités sociales, les discriminations sexuelles, etc.
On sent toutefois que le réalisateur, qui est demeuré fidèle au texte original, ne sait pas toujours quel ton utiliser. Il fuit le réalisme pour embrasser l'onirisme, mais seulement à la fin. Il jongle avec la satire de société, la tragédie burlesque et le fantasque cruel - et même parfois pervers - sans satisfaire totalement. Les touches d'humour, ironiques ou sarcastiques, sont développées avec parcimonie, à l'aide de ces dialogues ravageurs ou de cette utilisation saugrenue de la musique (un travail que Jacquot avait déjà développé sur son précédent 3 coeurs). Le metteur en scène aurait cependant pu aller plus loin. N'est pas Pasolini ou Fassbinder qui veut.
Il faut toutefois lui reconnaître cette ambivalence, cette façon de dessiner des personnages tordus qui ne versent jamais complètement dans la caricature. Les messages ne sont jamais édulcorés, le symbolisme pas trop envahissant (an, ces chiens si fidèles) et la réalisation soignée, classique et moderne tout à la fois, en impose. Devant la laideur et la noirceur des thématiques, les images âpres sont de toute beauté, créant leur lot de contrastes, évoquant parfois des peintures. Celles d'une nature sauvage où l'émotion a de la difficulté à filtrer et où les quelques ellipses ne s'agencent pas toujours harmonieusement au montage.
Tout comme dans l'excellent Les adieux à la reine du même réalisateur, c'est à nouveau Léa Seydoux qui porte le film sur ses épaules. En être intelligent, battant, insolent et pourtant sensible, elle livre une nouvelle performance éclatante. Sa façon de se frotter à l'éternel caméléon Vincent Lindon tarde cependant à faire effet, tant ce dernier personnage n'est réellement présent que dans la seconde moitié de l'histoire. Il s'avère très crédible en jardinier, cette bête possiblement menaçante qui tente de briser ses chaînes et qui n'est qu'un satyre parmi tant d'autres dans cette grande farce tragique et vulgaire.
Grandissant dans l'esprit du cinéphile après une première présentation en dent de scie, cette énième édition du Journal d'une femme de chambre risque d'être encore plus passionnante à sa seconde et troisième lecture. Il y a du Chabrol et même du Zola dissimulés ici et là. Sans doute que le cinéaste nous avait habitué à mieux (Sade ou Villa Amalia le prouvent amplement), sauf qu'il en offre une relecture intéressante et pertinente. Surtout que personne ne sait mieux que lui soutirer le meilleur de son actrice vedette.