Voir un cinéaste aussi méticuleux et féru d'Histoire que Robert Eggers (The Lighthouse, The VVitch) s'attaquer à un monument comme Nosferatu est probablement l'une des propositions allant le plus de soi que nous aient offertes le septième art au cours des dernières années.
Évidemment, il est préférable de laisser de côté les comparaisons avec le chef-d'oeuvre de F.W. Murnau - de même qu'avec la version de 1979 de Werner Herzog -, aussi tentantes et inévitables puissent-elles être.
Comme prévu, le Nosferatu d'Eggers est un véritable tour de force cinématographique, totalement conscient de la longue histoire littéraire et cinématographique l'ayant précédé. L'idée ici n'est jamais de remettre quoi que ce soit au goût du jour pour tenter de courtiser un auditoire qui n'existe pas, mais plutôt d'offrir aux amateurs du genre une expérience d'horreur gothique telle qu'ils n'en avaient pas vue depuis trop longtemps.
Eggers semble d'ailleurs prendre pour acquis - jusqu'à un certain point - que son public cible est déjà bien au fait des rouages du récit qu'il désire lui raconter. Et cette certitude lui permet de mettre davantage l'accent sur certains détails formels et narratifs, en plus d'imprégner sa démarche d'une attention plus marquée au contexte historique. Le tout au coeur de décors et d'environnements dont la grandeur émane autant de la magnitude que de la décrépitude.
Bref, Nosferatu est un parfait exemple de rigueur et de maniérisme extrêmes dans les moindres aspects de sa mise en scène, de son écriture, de ses dialogues et de son interprétation.
Les images parfaitement cadrées et composées abondent, faisant constamment écho à plusieurs des premiers courants du septième art. Le tout est évidemment relevé par la direction photo exceptionnelle de Jarin Blaschke (complice habituelle de Robert Eggers), tout comme les compositions torturées de Robin Carolan.
À travers ses ambiances on ne peut plus lugubres, ses éclairages à glacer le sang, ses effets de style macabres et ses élans dramatiques viscéraux et amplifiés, Nosferatu nous convie à la « symphonie de l'horreur » qu'annonçait le titre original du film de Murnau.
Lily-Rose Depp offre une performance physique particulièrement marquante durant les séquences où son personnage est sous l'emprise du sinistre comte se rapprochant de plus en plus de la petite ville qu'il aspire à plonger dans les ténèbres.
Pour sa part, Bill Skarsgård offre une version plutôt inattendue du Comte Orlok, assez loin de celle défendue par Max Schreck en 1922. Une performance que l'acteur - qui excelle de plus en plus dans les rôles sinistres - bonifie d'une posture à la fois meurtrie et imposante, et d'une voix grave et affligée absolument mémorable.
En professeur destitué en raison de son goût appuyé pour les sciences occultes, Willem Dafoe ajoute une touche de légèreté - si nous pouvons la qualifier ainsi - à un effort autrement mené et joué de manière extrêmement rigide.
Nous pourrions d'ailleurs reprocher à Nosferatu de s'étirer un peu trop en longueur dans le seul but de laisser la chance à Eggers d'aller au bout de sa vision - et même au-delà
Si le présent long métrage n'atteint pas forcément les mêmes sommets que certaines des oeuvres précédentes de son auteur, il ne fait nul doute qu'il y a plus de cinéma dans une seule séquence de Nosferatu que dans l'entièreté de la majorité des productions hollywoodiennes sorties ces dernières années.
En bout de ligne, le film est quelque peu rattrapé par la familiarité éprouvée de l'auditoire avec ce récit on ne peut plus classique, qui lui a été servi un nombre incalculable de fois depuis plus d'un siècle.
La bonne nouvelle, c'est que le maître de cérémonie qui est aux commandes cette fois-ci figure assurément parmi les plus talentueux et inventif à s'y être attaqué. Et ça, ce n'est définitivement pas peu dire.