Les comparaisons entre A Complete Unknown (Un parfait inconnu, en version française) et le remarquable I'm Not There (sorti il y a déjà 17 ans) sont aussi inévitables qu'inutiles.
Nous ne pouvions en aucun cas nous attendre à ce que le long métrage de James Mangold (qui a largement contribué à paver la voie pour l'essor du biopic musical au cours des deux dernières décennies avec Walk the Line) rivalise de prouesses artistiques et narratives avec celui de Todd Haynes.
Ceci étant dit, A Complete Unknown n'est pas non plus une proposition aussi classique et télégraphiée que nous pourrions le croire au premier abord.
En fait, le titre du film s'avère on ne peut plus juste : vous n'en saurez pas forcément plus sur Bob Dylan (incarné cette fois-ci par Timothée Chalamet) en sortant de la salle que lorsque vous y êtes entré quelque 130 minutes auparavant.
À l'instar du film de Haynes, il y a une volonté claire ici de conserver le caractère énigmatique et insaisissable entourant l'auteur-compositeur-interprète de génie. Les personnes qui le côtoient répètent d'ailleurs continuellement qu'ils ne connaissent au fond que très peu de choses à son sujet. Mais il y a aussi un moment où le film doit réussir à justifier sa propre existence. Et malgré plusieurs qualités indéniables, le pari de Mangold et ses acolytes n'est gagné qu'en partie sur ce plan.
Avant toutes autres considérations, James Mangold nous propose un voyage dans le temps au coeur des quartiers en vogue du New York du début des années 1960. A Complete Unknown revient sur différents épisodes clés de la vie dans la Grosse Pomme du jeune poète à la débrouillardise très limitée, entre ses premiers balbutiements dans les cafés d'artistes, en passant par son ascension dans l'industrie de la musique et son rapport tendu avec la célébrité, jusqu'à l'onde de choc créé par la sortie de l'album Highway 61 Revisited, en 1965.
L'équipe de production signe certainement un travail exemplaire en ce qui a trait à la reconstitution d'époque. Mais au-delà des décors et des costumes parfaitement reconstitués et de la direction photo vieillie de Phedon Papamichael, il émane des moindres images l'effervescence sociale et artistique - et parfois politique - de l'époque, laquelle saura faire vibrer autant la fibre nostalgique de celles et ceux qui l'ont vécue, que de celles et ceux qui auraient aimé la vivre.
À cet égard, le film est réussi, même s'il ne parvient pas toujours à créer un tout aussi abouti qu'espéré à partir de ces morceaux pourtant suffisamment cohérents et substantiels. Le principal problème, c'est que les scénaristes nous indiquent bien le « qui », le « quoi », le « comment », mais ne portent que très peu d'attention au « pourquoi ».
Les plus beaux moments du film sont d'ailleurs les plus simples, notamment ceux des visites de Dylan à l'hôpital pour rencontrer, puis tenir compagnie à son héros Woody Guthrie (Scoot McNairy), où il fait également la connaissance de Pete Seeger (Edward Norton), qui deviendra une sorte de figure paternelle pour le principal intéressé.
C'est d'ailleurs l'acteur de Fight Club qui vole la vedette ici, grâce à une touchante prestation toujours empreinte de sérénité, de bienveillance et d'optimisme. De son côté, Chalamet se révèle à la hauteur du défi proposé dans la peau d'un Bob Dylan élevé au rang de génie pour ses compositions, mais dont le film ne manque pas de souligner le côté peu délicat, arrogant et frondeur de sa personnalité.
C'est aussi sur une pointe d'ironie que Mangold et ses acolytes terminent leur essaie, dressant un habile parallèle entre l'affront électrique de Dylan au Newport Folk Festival et le passage devant les tribunaux de Seeger en début de parcours pour défendre sa liberté d'expression.
Une bonne chanson est une bonne chanson, peu importe les dispositifs et les mots choisis pour la mettre au monde.
Au final, A Complete Unknown est une expérience cinématographique généralement envoûtante, souvent exaltante, mais dont le caractère un tantinet trop anecdotique risque d'en laisser certains sur leur appétit.