Au cours des quelque vingt dernières années, Michael Mann a consacré son oeuvre à l'apprivoisement des technologies numériques, créant au passage une série de longs métrages mélangeant les thèmes forts de sa filmographie à une approche formelle à la fois insolite et inattendue.
L'initiative mena à des résultats de très haut niveau avec Collateral et Miami Vice, mais aussi aux rendez-vous manqués Public Enemies et Blackhat (même si ceux-ci ont été jugés plus sévèrement qu'ils le méritaient en réalité).
Pour son premier film en huit ans, le cinéaste américain renoue avec le drame biographique, ainsi qu'une mise en scène beaucoup plus classique et soignée. Mais ce qu'elle a pu perdre en urgence et en instinct brut, l'approche de Mann compense largement ici en précision et en intensité.
Après House of Gucci, Adam Driver se glisse dans la peau d'une autre icône italienne en la personne d'Enzo Ferrari.
Pour celles et ceux qui ont pu être déçu.e.s par le manque d'équilibre entre l'exploration de la vie personnelle de son sujet et le temps consacré à ses accomplissements professionnels dans le néanmoins excellent Maestro de Bradley Cooper, Mann et son scénariste Troy Kennedy Martin entrecroisent habilement ces deux facettes pour en mesurer pleinement la complémentarité.
Le présent long métrage se concentre en totalité sur l'année 1957. Pour Ferrari et son « commendatore », cette période fut des plus mouvementées, entre la gestion de la double vie sentimentale de ce dernier avec son épouse (Penélope Cruz) et son amante (Shailene Woodley), les nombreux problèmes financiers rencontrés par le constructeur, et une tragédie innommable ayant miné ce qui aurait dû être un grand moment de réjouissance.
Malgré sa renommée plus qu'enviable dans l'univers de la course automobile, Ferrari est au bord de la faillite, car le coût de ses opérations dépasse les revenus qu'elles engendrent. À cet égard, ceux qui ont vu le très compétent Ford v Ferrari de James Mangold pourront voir ici l'envers de la médaille des négociations ayant ultimement mené à l'entente avec Fiat.
Sur le plan dramatique et narratif, Ferrari suit la formule du biopic de manière aussi académique que perspicace. La précision des choix effectués par Mann et Kennedy contribue à nous faire saisir entièrement l'essence de leurs personnages et de l'univers dans lequel ils évoluent, et ce, même durant les séquences où le scénario les relègue au rang de spectateurs.
L'aspect compétitif est évidemment omniprésent dans Ferrari, et guide aussi bien la soif de victoire que les décisions d'affaires et les échanges personnels.
Le film évoque d'ailleurs parfaitement la place qu'occupait la course automobile dans le coeur et l'esprit d'Enzo et de ses acolytes lorsque ces derniers suivent depuis l'intérieur d'une église la tentative de record d'un compétiteur, se fiant aux coups de feu retentissant au loin pour faire fi du sermon du jour et chronométrer l'essai libre.
Pour leur part, Adam Driver et Penélope Cruz tirent le meilleur des scènes dans lesquelles ils interagissent comme s'ils prenaient continuellement part à un duel. Le tout en laissant entrevoir l'amour, la complicité et le respect mutuel unissant ces deux têtes fortes, pour le meilleur et pour le pire.
Les mots d'ordre ici sont simplicité narrative, puissance émotionnelle et maîtrise visuelle. Se déployant sur un peu plus de deux heures, aucune minute n'apparaît superflue, ce qui n'est pas peu dire pour un genre se complaisant trop souvent à étirer la sauce.
Le film débouche ultimement sur les accomplissements et la tragédie des Mille Miglia, que Mann filme d'une manière aussi élégante qu'exaltante, propulsée par un montage mettant parallèlement la table pour l'ensemble des conclusions de cette chronique d'une année dans la vie d'un géant.
En prenant ce pas de recul au niveau de ses expérimentations esthétiques, Michael Mann signe son film le plus complet et accompli depuis le remarquable Collateral de 2004.
Sans atteindre les sommets vertigineux de Thief, Heat ou The Insider, Ferrari demeure une oeuvre menée tambour battant, avec une rigueur dramatique impressionnante et, surtout, une souplesse artistique lui permettant de soutenir - et même d'alléger - le poids de ses ambitions.