Alors que le film En terrains connus, le deuxième long métrage de Stéphane Lafleur, prendra l'affiche ce vendredi, nous nous sommes entretenus avec le réalisateur juste avant son départ pour Berlin où son film a été présenté la semaine dernière. Le film assurait en plus l'ouverture de la 29e édition des Rendez-vous du cinéma québécois lors d'une grande soirée de première qui avait lieu au Cinéma Impérial.
Francis La Haye et Fanny Mallette incarnent les deux protagonistes principaux du film : un frère et une soeur qui se rendent au chalet familial pour y chercher une remorque et pour fuir leur quotidien. Benoît, qui vit toujours avec son père malade, est dans une mauvaise passe, tandis que Maryse s'ennuie avec son conjoint Alain. La visite d'un homme qui prétend venir du futur va forcer Benoît à se rapprocher de sa soeur.
Cette rencontre entre Benoît et l'Homme du futur donne le ton au film, alors que Benoît lui demande s'il a faim, plutôt que de se demander comment il a pu remonter le temps. « C'était important pour moi, d'emblée, que le personnage accepte cette chose improbable-là, pour que le spectateur aussi l'accepte, pour que le film puisse continuer. Si le personnage se met à douter de ça, on se lance dans un autre film. Quand on a cherché le ton du film, au début, j'ai dit aux comédiens qu'il fallait trouver le ton de cette scène-là, de son arrivée du futur, et que si on le trouvait on allait trouver le ton du film. »
Tiens-tu au respect exact des dialogues écrits dans le scénario? « Étant donné que c'est moi qui réalise ce que j'écris, j'écris des choses que j'ai l'intention de filmer. Souvent, les dialogues deviennent quasiment de la musique et doivent être dits comme ils ont été écrits. Sans être dictateur, je vais insister pour entendre, au moins une fois ce que j'avais en tête pour ne pas finir ma journée frustrée de ne pas avoir entendu ou vu ce que je voulais au départ. »
Cela donne un certain « réalisme » au film? « Au début je pensais que je faisais du cinéma « réaliste », mais un moment donné, je pense que c'était pendant le montage de Continental, j'ai réalisé qu'il n'y avait rien de réaliste là-dedans. Les gens ne se parlent pas comme ça, il y a quelque chose de presque théâtral dans la façon de tout mettre en scène. Ce qui nous fait appeler ça du réalisme, c'est le fait que je demande aux comédiens de ne pas en faire beaucoup. »
L'humour est tellement particulier qu'il ne doit pas y avoir de place pour l'improvisation. « Non, c'est vrai. C'est rapidement hors ton. C'est pour ça que je te disais que ce n'est pas si naturaliste que ça. »
As-tu dû couper des scènes? « Presque pas. Ce que j'ai coupé c'est parce que je ne l’aimais pas. Pour moi, la leçon du cheminement de Continental ça a été vraiment l'écriture, de voir mon scénario transformé à toutes les étapes et ce qui en est resté. Dans le produit final, l'idée est restée, mais le film est épuré de plein d'affaires dont je n'avais pas de besoin. Pour ce film-ci, il y a un travail de réflexion plus grand au niveau de l'écriture. »
« On a coupé énormément de scènes sur Continental parce que, par exemple le personnage de Gilbert, sur papier ça prenait bien des scènes pour le comprendre, à l'écran, mais une fois qu'il avait les lunettes, le petit coat de cuir, les bottillons, tout était clair après cinq secondes. »
Lorsqu'un acteur et danseur comme Francis La Haye, par exemple, enfile son costume, il doit se transformer, devenir le personnage. Est-ce ce que tu demandes aux acteurs? « Oui. Ce ne sont pas des performances que je demande, c'est d'habiter le lieu, la scène et le costume. D'être présent, d'être à l'écoute et d'être au service d'un tout. Le spotlight n'est pas sur eux, c'est eux qui sont au service du film au complet. »
« Je trouve ça fascinant de travailler avec des acteurs, fascinant la concentration qu'ils ont. » Ce n'est pas certain que ce sont tous les acteurs qui ont l'écoute nécessaire pour adhérer à cette proposition-là. « C'est pour ça qu'on fait des auditions. Souvent, en audition, j'essaie de voir si c'est un visage que je me plais à regarder au moins pour un bout de temps, si j'ai envie de filmer cette personne-là, si j'ai envie de la voir à l'écran longtemps. Après ça, il faut vérifier si on est capable de communiquer. »
Ce qui pourrait contribuer au réalisme, c'est peut-être aussi l'économie des mouvements de caméra. « Je ne sens toujours pas le besoin de faire des mises en scène techniques super élaborées. En même temps, par rapport à Continental, le film est beaucoup plus découpé, la caméra bouge quand il faut. On a essayé de faire quelque chose de moins réfléchi esthétiquement; pas pour diminuer l'importance de ce qu'on fait, mais pour ne pas que ce soit un statement esthétique. »
« On ne voulait pas que l'esthétisme prenne le dessus sur l'histoire et les personnages. »
En terrains connus prend l'affiche dès demain.