Il faudrait beaucoup de bonne foi (et un peu de naïveté) pour croire que En terrains connus s'adresse à un large public. Lorsque Continental, un film sans fusil a été consacré aux Jutra il y a trois ans (meilleur film, meilleur scénario, meilleure réalisation et meilleur acteur de soutien), on a été confronté à un paradoxe : un film récompensé par ses pairs pour sa qualité, mais sans public - en fait, sans un public dans le bon état d'esprit pour l'apprécier. On a donc lu que le film était « sans intérêt », « lent », « poche » et « ennuyant ». C'est pourtant un film qui, derrière son allure austère, dévoilait une grande sensibilité émotionnelle et humaine, comme le fait dignement (et même mieux) son successeur, En terrains connus. Mais qui sera prêt à voir ce film pour ce qu'il est, plutôt que de se demander ce qu'il n'est pas?
Parce qu'il y a plein de choses qu'En terrains connus n'est pas. Ce n'est pas un film d'action, ce n'est pas un road movie, ce n'est pas non plus un film social ou un mélodrame. C'est un film simple, où beaucoup demeure inexpliqué : un homme qui vient de sept mois dans le futur pour annoncer à Benoît que sa soeur Maryse va mourir. C'est à peu près tout ce qu'il faut savoir, le reste vient naturellement. Si le récit paraît simple, c'est que la complexité qu'il a choisie d'aborder est celle des personnages; des êtres renfermés mais cohérents, dont les motivations deviennent plausibles grâce au temps qu'on leur consacre. Il ne s'agit pas de « longueurs », mais de « patience », qui porte ses fruits tandis que le récit s'affine.
Une simplicité qu'on retrouve aussi visuellement, dans une économie de moyens et de mouvements qui subit les événements plutôt que de les provoquer. Les « accidents » entrent dans le cadre pour venir déstabiliser les protagonistes, qui demeurent les objets de l'étude. La cause de l'accident est moins importante que ses conséquences.
Et à travers cette rigueur, à la fois visuelle, humoristique et narrative, on laisse entrer la magie, qui devient le contrepoids à l'austérité. Les deux, mis côte à côte, s'embellissent, deviennent plus beaux, plus forts, plus émouvants. Même dans les petites victoires, que ce soit briser une chaîne ou essayer de sauver la vie de sa soeur.
En terrains connus est un film drôle - très drôle même (mais cela ne veut pas dire que l'on doive rire) - dans sa représentation empathique de la nature humaine, et même touchant, parce qu'il met en vedette des personnages simples mais crédibles qui sont de subtiles observations des travers de la race humaine. Si, au premier abord, on est repoussé par la complexité et l'étrangeté de sa proposition, on ne profitera jamais de son efficacité émotionnelle. Benoît, malgré son existence d'adolescent attardé et ses quelques problèmes d'intégration, demeure un homme contemporain, dédié aux autres mais ne sachant comment faire pour les satisfaire. Mais c'est impossible à savoir si on refuse d'apprendre à le connaître.