Le cinéma de Catherine Martin a une pudeur qui se fait de plus en plus rare sur les écrans. D'abord une pudeur thématique, qui prône la simplicité narrative. Le synopsis de ce Trois temps après la mort d'Anna tient en une phrase : suite au décès de sa fille, une femme se réfugie dans la maison de ses ancêtres et reprend goût à la vie. Une pudeur émotive aussi, qui se manifeste d'abord à travers les interprétations senties des comédiens, qui refusent systématiquement d'en faire trop. Une pudeur des moyens, qui évite le plus possible les artifices, effets spéciaux, etc. La véritable émotion, si elle existe au cinéma (ce qui n'est pas certain), est sans doute quelque part par là, c'est-à-dire loin, le plus loin possible des lieux communs et de la musique extra-diégétique (c'est-à-dire qui n'est pas à l'intérieur du récit) des films grand public. Ce n'est pas triste parce que c'est supposé l'être.
Comprenant que les choses ne sont pas émouvantes par essence, Catherine Martin laisse le drame de la situation - le décès d'une enfant, ce n'est véritablement triste que pour sa famille, pas pour des spectateurs anonymes dans une salle de cinéma - imprégner les spectateurs; elle le laisse faire son chemin, tout doucement à travers la pudeur qu'ils traînent avec eux dans la salle obscure. Il faut percer cette carapace, il faut convaincre le spectateur qu'il a le droit, qu'il est légitime pour lui de croire à cette émotion qu'on lui propose. La plupart des films qui prennent l'affiche sur nos écrans ces temps-ci (autant québécois qu'américains) ne s'accablent pas ce processus, qui est pourtant essentiel. Car qui a le droit de mettre autant de choses fausses sur l'écran et de les faire passer pour vraies?
Le talent des comédiens est essentiel au succès de l'opération. Encore une fois, c'est la pudeur et l'humilité qui permettent aux émotions d'apparaître plutôt que d'être suggérées et soulignées. Elles peuvent éclore dans un dialogue, dans une image, mais ce sera toujours sans qu'on ne puisse le prévoir. Guylaine Tremblay et François Papineau, apparemment tiraillés par l'émotion, refusent de la laisser transparaître, se contentant de quelques évocations, des indices que le spectateur doit saisir.
Le problème avec cette pudeur, c'est qu'il réduit la prise de risques. Trois temps après la mort d'Anna est un film prévisible, en quelque sorte. Ses thématiques sont relativement communes, son rapport avec la nature extrêmement redondant (retour aux sources, reprendre contact avec les vraies choses (la nature), les seules vraiment importantes), et on se saurait s'étonner de ses quelques revirements dramatiques. On sait déjà, avant même de l'avoir vu, s'il nous émouvra ou non. On ne peut que constater le talent qu'il a fallu pour amalgamer autant d'aspects du cinéma en une oeuvre cohérente et respectueuse, qui refuse de violer l'intimité de ses spectateurs, et qui lui propose plutôt de se laisser happer par ce qui pourrait bien être triste dans cette histoire triste.