Chasse au Godard d'Abbittibbi est un film hétéroclite, dynamique, évoquant toutes sortes de cinémas et d'époques qu'un traitement au sous-texte humoristique permet de faire tenir ensembles. Réalisé par Éric Morin à partir du « fait d'hiver » (je suis extrêmement sceptique au sujet de ce jeu de mots) de la visite de Jean-Luc Godard à Rouyn-Noranda en décembre 1968, le long métrage (son premier, après le court Opsatica) séduit par sa jeunesse surannée (un oxymore? c'est rare), ses comédiens enthousiastes et son style hybride.
Malgré une grande diversité de styles et de tons, Chasse au Godard d'Abbittibbi demeure un film cohérent. Par un montage habile, une narration décalée et une ironie latente, l'étrangeté de l'histoire (au fond : un cinéaste, jamais nommé, vient faire de la motoneige) et une caméra perspicace, le tout forme quelque chose comme une histoire, avec quelque chose comme des personnages. On rit un peu, on est ému parfois, et on est toujours en état d'ouverture, de découverte sur ce qui va se passer ensuite.
Pour cette raison, la finale est peut-être légèrement décevante, car attendue (inévitable), mais autrement, l'anachronisme du film devient rapidement éloquent de véracité, lorsque des bûcherons, des étudiants, des mineurs ou des femmes de 1968 parlent d'une société qui nous est étrangement familière. Et si l'histoire d'amour centrale n'a rien d'unique, elle est bien intégrée à un récit qui digresse allègrement.
Certes, il y a quelques défauts. Toutes les trames n'ont pas le même intérêt et si la visite d'un cinéaste important en Abitibi est le point de départ de cette histoire, il n'a pas vraiment de levier sur la trame principale. Les quelques segments musicaux sont inégaux, parfois trop plaqués au récit qui a déjà peu à raconter, au fond. Le triangle amoureux et/ou l'exil des régions ne sont pas des thèmes inédits, heureusement le film ne s'en contente pas.
Si les trois acteurs principaux, Sophie Desmarais, Martin Dubreuil et Alexandre Castonguay, démontrent tour à tour l'étendue de leur talent, il faut souligner l'apport des nombreux acteurs interviewés par l'équipe de tournage, qui n'ont que quelques scènes (parfois quelques secondes), pour convaincre. La grande majorité de ces acteurs sont efficaces, en particulier les bûcherons, mais surtout la mère de Marie, jouée par Rachelle Lortie. Elle émeut grandement lors d'une courte scène, pourtant d'une simplicité déconcertante.
Alors qu'on souhaite tous un cinéma québécois plus vivant, plus original et plus diversifié, Éric Morin nous l'offre, avec Chasse au Godard d'Abbittibbi. Imparfait, mais enthousiaste, le film séduit par ses nombreuses idées « révolutionnaires », son style maîtrisé et ses comédiens efficaces.