Les propositions cinématographiques de Michael Haneke sont toujours un événement qu'on attend avec impatience. Lorsqu'il remporte en plus la Palme d'Or, comme ce fut le cas l'an dernier avec ce film, les attentes sont décuplées. Le réalisateur des inoubliables Caché, Funny Games et Le ruban blanc propose à nouveau avec Amour une oeuvre solide, dans la continuité de ses obsessions thématiques, mais moins forte que ses films précédents. Légèrement moins forte. Difficile de dire précisément pourquoi, sinon que les oeuvres en question étaient tout simplement des chefs d'oeuvres qu'il est difficile de surpasser (une quatrième fois d'affilée?).
Amour est un film qui démontre la rigueur du cinéma d'Haneke, tout en soulignant davantage son regard humain. Cette fois, on ressent de l'empathie dans sa caméra, dans ce huis clos très sévère où presque rien ne pénètre, et même de l'empathie pour des personnages démunis, victimes d'un mal qui ne semble pas provoqué (sinon par leur bourgeoisie, c'est Haneke après tout). C'est un mal plus paisible, plus imperturbable, celui de l'âge et de la mort, qui intéresse ici le cinéaste. Il y a une sorte d'immuabilité, de dignité, qui transpire du minutieux travail du réalisateur.
Beaucoup de cette dignité vient de la prestation sentie des acteurs principaux; Jean-Louis Trintignant est impérial dans le rôle central. Émouvant, il porte la plupart des émotions du film. Une rencontre parfaite entre un acteur et son personnage, dans un huis clos quasi-total dont chaque détail est ressenti, comme c'est l'habitude chez Haneke. Emmanuelle Riva est aussi émouvante, sinon davantage. Mais ces émotions sont difficilement perceptibles, elles se travaillent en douceur, sur la durée... Et elles sont assez attendues, alors qu'Haneke nous a habitué à prendre des directions imprévisibles (inévitables, mais contraires aux attentes spectatorielles). Pas ici.
Le principal problème - peut-être le seul d'ailleurs de cette oeuvre engageante (mais il est majeur) : le corps du récit est précédé d'une introduction révélatrice. C'est une manoeuvre aride narrativement qui offre la conclusion d'entrée de jeu. Parce qu'il s'agit d'Haneke, on sait que tout est encore possible - puisque le réalisateur autrichien ne s'est jamais empêché une entorse narrative - mais cette intervention policière du début détruit une partie du mystère. On sait aussi, vu la manière qu'il a de raconter la perte d'autonomie de la femme - entourée d'une aura surnaturelle -, que le réalisateur souhaite qu'une certaine part d'inconnu demeure dans son récit.
Pourtant, on ne la retrouve rapidement plus, une fois que tous les pions sont placés. On constate alors l'efficacité de la mécanique, de l'interprétation à la réalisation, mais on n'est pas transporté par l'imprévisible et l'audacieux réalisateur autrichien, du moins, pas de la manière à laquelle on est habitué avec lui. Ce film est une oeuvre mineure offerte par un cinéaste majeur; c'est-à-dire qu'on l'insère dans sa filmographique lorsqu'on le connaît et l'apprécie déjà, mais qu'il ne s'agit pas d'une introduction à son cinéma.