Vu au Festival de Cinéma de la Ville de Québec.
Après que son court métrage Henry se soit retrouvé en compétition aux Oscars, Yan England a soudainement été considéré comme un réalisateur par l'industrie et plus seulement comme un acteur. Par contre, il ne nous avait toujours pas proposé de long métrage et, avouons-le, nous étions impatients de découvrir ce que le jeune cinéaste pouvait nous offrir avec plus de temps et de moyens à sa disposition.
1:54 est alors arrivé, discrètement, sans fla-fla ni grande campagne publicitaire, mais avec une thématique grave et actuelle : les revers de l'intimidation chez les ados. Le réalisateur ne prend pas de gants blancs pour diffuser son message et n'use pas non plus de grandes subtilités. Suicide, violence physique et verbale barbare, rejet, problème d'identité sexuelle, deuil, vengeance; on a d'abord l'impression d'assister à un énième épisode de Watatatow, mais heureusement les choses se placent rapidement et l'intensité du drame devient si poignante qu'elle nous serre la gorge et engendre un mal-être intrinsèque. Celui-ci ne quittera d'ailleurs pas votre carcasse de cinéphile de si tôt et c'est exactement ce pour quoi ce film est réussi, pour son impact direct et mordant au coeur du problème : l'humain.
Il y a une surenchère du drame, mais on ne tombe jamais dans le « mélo ». Le réalisateur a visiblement utilisé l'excès pour atteindre sa cible. Il faut aussi comprendre qu'un jeune dans la position de Tim ne voit pas d'issue possible à sa situation, donc la démesure devient la règle. Ses confrères le dénigrent continuellement, sans raison. Ainsi, la haine, la colère et la peur qu'il emmagasine depuis des années (le personnage est en secondaire 5) sont un dangereux volcan en activité, à la veille d'entrer en éruption. D'ailleurs cette comparaison entre les expériences de chimie des deux scientifiques en herbe et cette rage qui gronde en eux s'avère forte et probante.
Si les dialogues sont au départ un peu carré, le scénario se complexifie au fil de l'histoire, jusqu'à une finale coup-de-poing, brillamment exécutée. Même chose pour la réalisation. L'introduction est un peu droite et appliquée, mais les scènes de course à pied sont menées efficacement, tout comme les dernières séquences qui explosent en intensité. Bien sûr, Antoine Olivier Pilon, qui nous a prouvé à maintes reprises (notamment avec Mommy) ses grandes habiletés de comédien, livre ici une performance sans faute. Il nous présente un jeune homme fragile, décidé à changer son destin, qu'on affectionne (pas par pitié; et c'est important) dès les premières secondes. Lou-Pascal Tremblay impressionne également dans le rôle de l'intimidateur. Il est sans coeur, inconscient et détestable, mais jamais (et ça aussi c'est important) jusqu'à devenir risible. Sophie Nélisse et Robert Naylor sont aussi fort convaincants et attachants.
1:54 fera jaser. Espérons qu'il aura suffisamment d'échos pour faire réfléchir les jeunes et la population en général sur les impacts redoutables de l'intimidation. Et si c'était le mal de vivre d'un seul individu qui déclenchait les hécatombes?