Le film sur l'assassinat d'Oussama Ben Laden était très attendu, notamment parce que le dossier top-secret représentait l'une des missions de l'armée américaine les plus importantes des dernières années (OBL était l'un des - pour ne pas dire LE - terroristes les plus recherchés dans le monde) et qu'il était le plus récent projet de Kathryn Bigelow, cinéaste oscarisée en 2010. Pourtant, Zero Dark Thirty comportait énormément de pièges; celui de faire preuve d'un patriotisme démesuré, celui de trop simplifier une mission composite ou celui de dépeindre une forme d'héroïsme bancale pour créer un sentiment d'appartenance et un attachement forcé envers les protagonistes militaires et fonctionnaires. Heureusement, Bigelow évite habilement tous les pièges que le sujet d'actualité aurait pu entraîner et prouve, une fois de plus, son talent de raconteuse et de technicienne.
D'un point de vue technique et, même à un certain niveau, narratif, Zero Dark Thirty s'apparente beaucoup à The Hurt Locker, le film de guerre qui a valu à Bigelow son Oscar. Précis, réfléchi, intelligent et crédible, les deux oeuvres nécessitent certaines connaissances historiques et politiques pour permettre au spectateur de se laisser guider par l'histoire sans s'accrocher dans des spécificités techniques. Le long métrage se déroule sur une période d'environ dix ans, le récit fait donc de nombreux sauts dans le temps - des bonds qui sont parfois de plusieurs années -, ce qui oblige le public à rester attentif.
Le film se concentre davantage sur les attentats commandés par Al-Qaïda qui ont fait rage dans le monde entre ceux du 11 septembre 2001 à New York et l'assassinat de Ben Laden en 2011 au Pakistan. Ces évènements terroristes qui parsèment le film sont d'autant plus percutants et révélateurs si on en connaît la teneur et l'impact avant le visionnement. Zero Dark Thirty n'est pas ce genre de production qui s'arrêtera en cours de route pour nous faire un récapitulatif des derniers épisodes; très bien, mais il en demeure que les spectateurs doivent rester attentifs et faire les liens nécessaires.
Il persiste tout de même certaines longueurs au sein du drame d'espionnage de 157 minutes, principalement en milieu de parcours. Certains détails auraient peut-être pu être davantage schématisés (même si dix ans en 157 minutes, c'est tout de même une schématisation importante) pour permettre une meilleure fluidité et l'empêcher de stagner. Mais, comme le film montre que la stagnation était l'un des problèmes majeurs de l'enquête et qu'il était une source de frustration notable chez les agents fédéraux américains, peut-être que cette langueur épisodique était nécessaire.
Les acteurs font aussi en sorte que l'oeuvre ne s'effrite pas et conserve toujours la même intensité. Jessica Chastain, qui incarne la protagoniste, une jeune agente de la CIA recrutée pour trouver Ben Laden, livre une performance d'un grand réalisme. Jamais faussement décrite comme une héroïne invincible ou une Américaine sur-patriotique, elle démontre le travail acharné qu'a engendré cette chasse à l'homme et l'implication incommensurable de certains individus.
Kathryn Bigelow pourrait-elle remonter sur la scène des Oscars pour recevoir sa deuxième statuette de la meilleure réalisatrice en carrière en moins de trois ans? Zero Dark Thirty est tout à fait le genre de film que l'Academy adopte d'emblée; humain, profond, historique, intelligent et, en plus, raisonnablement chauvin. Par contre, Lincoln de Steven Spielberg pourrait bien nuire aux chances de Bigelow. Entre deux personnages qui ont marqué l'Amérique - l'un comme président, l'autre comme terroriste - la lutte sera impitoyable...