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Querelles de voisinage bilingue.
C’est confirmé Rodrigo Sorogoyen est un très grand cinéaste. Un cinéaste sur lequel il va falloir compter. On sera juste plus réservé quant à son second film, « El Reino », même s’il reste du grand cinéma, ambitieux et magistral. Malgré des critiques dithyrambiques, il était peut-être trop nébuleux, complexe et fatigant. Voire prétentieux même pour certains dont nous faisons partie. En revanche ses trois autres films dont son nouveau forfait « As bestas », relèvent du génie. Jugeons plutôt de la diversité et de la maestria de sa filmographie: de l’implacable thriller « Que Dios no perdone » au sublime drame psychologique « Madre » (l’un des plus beaux et grands films de 2020) et désormais avec ce très intense et puissant « As bestas », c’est donc presque un sans-faute et, à chaque fois, une soif de septième art de chaque instant brûle pellicule, peu importe le sujet entrepris. Suspense avec serial-killer, engrenage politique infernal, trouble psychologique après la perte d’un enfant et ici conflit entre voisins sur fond de racisme. Des sujets forts qui brillent et se transcendent devant la caméra du cinéaste d’origine argentine. Ici, on se croirait dans un western contemporain et rural où la tension et le poison de la folie humaine se distillent lentement mais surement à travers l’écran et ce, jusqu’à l’étouffement pour le spectateur.
Comme avec ses précédentes œuvres, le cinéaste a su trouver un casting imposant et évident pour le soutenir dans ce film âpre et pas toujours facilement appréhendable. Un cinéma qui demande l’investissement du spectateur et c’est tant mieux. Et encore une fois, Marina Foïs vient ici montrer l’étendue de son talent décidément incroyable tout juste un mois après le génial mais bien plus léger « En roue libre ». Certes son rôle ici est plus discret et ne se dévoile que dans la toute dernière partie. Mais le peu de scènes où elle est au centre de l’attention, on ne voit qu’elle. Également, un mois après une composition déjà impressionnante (celle du réalisateur gay Peter von Kant dans le très queer film éponyme d’Ozon qui ne vaut quasiment que pour lui), Denis Ménochet revient ici en fermier écolo en proie à des voisins racistes. Un rôle diamétralement opposé qu’il empoigne avec fracas grâce à sa carrure imposante, sa force sauvage et une détermination sans faille. Un couple de cinéma impeccable secondé par des seconds rôles espagnols tout aussi irréprochables. Après, il faut avouer que la mise en place est un peu longue, tout comme le film en lui-même, et que c’est peut-être un parfois un tantinet languissant. Mais c’est pour mieux installer le malaise, le stress et la tension jusqu’à un moment pivot effroyable que l’on ne dévoilera pas et qui va rebattre les cartes de ce duel psychologique et nous mettre KO.
Sorogoyen installe son histoire dans un village reculé de Galice, au fin fond des montagnes. Un contexte peu vu au cinéma, surtout sous cet angle-là. En filigrane, le constat social sur la mort de ces petites bourgades reculées qui suintent la mort et l’oubli et que fuient les jeunes générations est édifiant. Tout comme les problèmes rencontrés par le monde agricole espagnol, similaires au français. Plus qu’un simple thriller ou film à suspense qui voit se confronter des voisins suite à une querelle (pourtant ce sujet a rarement été aussi inquiétant et anxiogène au cinéma), c’est l’autopsie d’un monde qui se meurt et d’un racisme doublé d’un côté réactionnaire propre à ces bourgades isolées. La mise en scène est sans aucun défaut magnifiant tout aussi bien ses décors naturels originaux que les duels verbaux et physiques d’une intensité rarement vue entre les protagonistes. On est dans un règlement de comptes à O.K. Corral entre paysans de notre époque. Et le stress vécu par le couple de français atteint des sommets de tension à plusieurs reprises. Si l’on fait fi de la durée du film, son doux venin s’installe durablement en nous pour ne plus nous quitter jusqu’à un final heureusement libérateur mais sobre et réaliste. Un très grand film dont on risque d’entendre longtemps et beaucoup parler, à l’instar du récent « La nuit du 12 » de Dominik Moll.
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