Il y a vingt-deux ans prenait l'affiche Total Recall de Paul Verhoeven, un film de science-fiction d'anticipation se déroulant en 2084, entre la Terre et Mars, et adapté d'une nouvelle de Philip K. Dick intitulée We Can Remember it For You Wholesale (nous avons d'ailleurs abordé son oeuvre dans cet hebdo). Racontant les efforts de Doug Quaid, un simple ouvrier sur Terre, pour se souvenir de son passé d'agent secret sur Mars, le film a amassé 119,3 millions $ lors de sa sortie avant de devenir un classique de la science-fiction. Aucun doute que plusieurs fans prendront le temps de revoir la version originale du film avant de se rendre dans les salles dans les prochaines semaines pour voir le remake, réalisé par Len Wiseman, qui a pris l'affiche hier.
Mais un film de science-fiction d'anticipation, produit en 1990 et vu en 2012, paraîtra certainement dépassé. La perception des créateurs du passé sur le futur a connu de nombreux ratés... que n'évite pas Total Recall.
Comment les créateurs de Total Recall en 1990 avaient-ils envisagé l'avenir? Si certaines de leurs intuitions se sont avérées justes (les télévisions dans le métro), elles ont pratiquement toutes été limitées par les perspectives de 1990 (les écrans cathodiques sont immenses et risibles de nos jours, encore plus si on regarde, par exemple, le film sur son iPhone...). Et si nous n'en sommes pas encore à implanter des souvenirs dans le cerveau humain, disons que la publicité de la compagnie Rekall s'avèrerait complètement dépassée à une époque où cette opération serait possible...
Il est toujours amusant de voir comment les créateurs d'une autre époque envisageaient le « futur », souvent représenté par une déclinaison de vidéophones. Total Recall n'y échappe pas, pas plus que des dizaines de films qui l'ont précédé. Pourtant, même si la technologie existe et que chaque foyer pourrait être muni de son « vidéophone » de nos jours, ce n'est pas le cas. Certes, on utilise Skype ou Facetime, mais rarement pour faire des appels du quotidien; on préfère même souvent les messages textes aux appels téléphoniques. Cette fois, les fantasmes des créateurs du passé ont surpassé la nécessité de notre quotidien.
Dans Total Recall version 2012, les écrans sont inspirés de la technologie la plus récente : écrans tactiles et transparents, les téléphones sont intégrés à la main et les déguisements ne sont plus physiques mais holographiques. Dans le futur vu en 2012, les voitures volent sur de complexes autoroutes flottantes à deux étages; dans la version de 1990, elles sont bien ancrées au sol et les taxis sont pilotés par des androïdes « réels ».
Dans la version 2012, Colin Farrell prend la place du tonitruant Arnold dans le rôle principal, prouvant une nouvelle fois que le héros de film d'action a beaucoup changé depuis les années 80. Il n'y a qu'à regarder le générique d'ouverture pour s'en convaincre : l'ancien film est profondément ancré dans son époque, à la charnière entre les années 80 (voir l'accoutrement et la coiffure de Sharon Stone) et les années 90, où la technologie a commencé à prendre une plus grande place dans la vie de tous les jours.
Vingt-deux ans plus tard, des perceptions sociales peuvent aussi paraître entièrement démodées : la place de la femme, par exemple, est aux antipodes entre 1990 et 2012. Les craintes sociales sont cependant les mêmes : le terrorisme, le totalitarisme, le pouvoir d'une entreprise privée malintentionnée, etc. Entre les deux versions, une différence est pourtant notable : dans le futur de 2012, l'armée est composée d'androïdes puissants comme c'est le cas d'une majorité de films américains d'anticipation depuis le début des années 2000. Aucune trace des robots dans la version de 1990.
La technologie change rapidement et il est fort probable que les propositions du nouveau Total Recall ne seront jamais littéralement atteintes. Pas parce que ses concepteurs n'ont pas bien travaillé, simplement parce que les préoccupations et les besoins changent lorsqu'une nouvelle technologie fait son apparition sur le marché. On peut aussi supposer que des événements socio-culturels modifieront grandement notre perception et nos craintes en tant que sociétés occidentales (comme ce fut le cas avec le 11 septembre). Les blockbusters américains sont conçus et produits pour un public actuel, prêt à dépenser ici et maintenant. Cela explique peut-être la multiplication des remakes de films qui ne sont pourtant pas si âgés. Le développement des technologies se faisant maintenant exponentiellement, il est même possible que les films actuels paraissent datés encore plus vite.
Ce qui nous amène à la vraie question : la femme à trois seins est-elle une avancée technologique?