La version moderne et québécoise du classique shakespearien Roméo et Juliette prendra l’affiche demain. Un projet dont on a déjà beaucoup parlé, à commencer par ses auditions publiques où 10 400 jeunes se sont présentés pour obtenir les rôles très convoités des deux amants de Vérone. Puis, par l’importante coupure de budget du film, qui a finalement été réalisé avec 3,4 millions $ alors qu’on en prévoyait 7,2 millions $.
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Il y a également, depuis la première médiatique de Roméo et Juliette, une polémique qui persiste au sujet des scènes sexuelles du film, qui impliquent les deux jeunes vedettes, Charlotte Aubin et Thomas Lalonde. Sont-il trop jeunes, les scènes sont-elles trop osées? Le réalisateur et les deux acteurs, qui en sont à leur première expérience au cinéma, ne le voient pas comme un problème.
Ils en parlent dans l’entretien que nous avons réalisé avec eux.
Yves Desgagnés
Le réalisateur, qui a passé plus de trente ans au théâtre, réalise avec Roméo et Juliette un deuxième film, après Idole Instantanée, qui est tributaire de sa longue carrière sur – et devant! - les planches. « J’avais fait, il y a quelques années, de façon consécutive, trois pièces de Shakespeare, Le songe d’une nuit d’été, Les joyeuses comères de Windsor et La nuit des rois. Denise Robert avait assisté à ces représentations-là, et elle a proposé au traducteur, qui était le dramaturge Normand Chaurette, de faire Roméo et Juliette. »
Qu'est-ce qui vous a poussé à faire le film? « Ce qui m’intéressait, c’est l’histoire de Roméo et Juliette, qu’on accorde de façon erronée à Shakespeare mais qui vient plutôt du poète Ovide. C’est une histoire qui a 2000 ans. Ce que j’aime de cette œuvre-là, c’est le voyage initiatique, le passage de différentes épreuves que tu devrais, comme être humain, rencontrer dans ta vie. C’est le délicat passage entre l’enfance et lâge adulte. Les premiers balbutiements de l’amour, les premiers baisers, la première fois que tu as un amour charnel avec quelqu’un et le désespoir de l’amour et la mort. »
« Ce que j’aimais de cette œuvre-là, c’est le côté un peu lumineux de la jeunesse qu’on voit très très rarement. Les médias et la société nous parlent beaucoup d’enfants abusés, violés, abandonnés. »
Parmi toutes les oeuvres du poète, pourquoi celle-ci? « Denise Robert venait de faire un film qui s’appelle Les voleurs d’enfance, et je la soupçonne, même si elle ne l’a jamais dit, de vouloir montrer l’envers de la médaille, le côté merveilleux d’avoir 14-15 ans, l’espoir que ça suscite.»
« Mettre en scène des personnages principaux qui ont 15 et 16 ans, c’était une opportunité de parler de la quintessence de la vie, de l’ouverture vers l’autre. »
« Le film exigeait 7,2 millions $ dans un budget révisé à la baisse (au départ, c’était tout près de 9 millions $) et à trois semaines du début du tournage je me suis retrouvé avec 3,4 millions $. Je me suis assis avec Normand et on a essayé de voir comment, en n’édulcorant rien, en gardant l’intégrité du sentiment qu’on voulait exprimer, on pourrait simplifier toutes les scènes qu’on ne pouvait pas tourner. On ne pouvait pas tourner de poursuites, Roméo mourrait d’une autre manière, d’ailleurs, il s’enfuyait, la police courrait après son auto… Il y avait des scènes d’action très très grandes. Mais, je ne me plais pas. Parce que c’est le outils que j’avais, et on a fait le film pareil, et moi je viens du théâtre, et avec un kleenex, un rouleau de papier de toilette et du papier journal on monte des pièces qui ont l’air de se passer dans des châteaux. Ça m’a beaucoup servi. »
« Mais je ne me plains pas. Mon modèle, c’est moi-même. Quand j’avais quinze ans, ce qui me faisait tripper c’était les films de Bergman, j’haïssais les poursuites policières. Je n’ai pas fait ce film là « pour »; pour les adultes, pour les jeunes, pour les vieux, pour les intellectuels, pour le grand public… J’ai fait une histoire où les deux héros ont 15 et 16 ans, j’ai essayé de voir cette histoire-là à travers les yeux de 15 et 16 ans. Si les héros avaient eu 80 ans, j’aurais fait pareil, c’est ça mon travail c’est pour ça qu’on me paye. »
« Moi, dans ma tête, je me demande encore ce que je vais faire quand je vais être grand! »
Charlotte Aubin
« Juliette, c’est la fille d’un juge, une fille qui a été élevée dans le matérialisme, je pense, ce qui a créé dans Juliette un besoin de trouver des sentiments purs, quelque chose qui va dépasser les objets, et ça c’est les sentiments de Roméo. » dit sans respirer la jeune actrice. Et avant même de reprendre son souffle, elle poursuit : « Dès qu’elle va goûter à ces sentiments-là, on va lui arracher, mais son impulsivité, son émotivité et son excessivité vont la mener jusqu’à la mort. » Ouf, enfin une respiration! Heureusement que j’ai un micro. « Ouais, je parle vite. »
Est-ce que le film est réaliste? « Oui. Il n’y a pas de doute, en plus ça aborde beaucoup de thèmes de l’adolescence : l’amour, la sexualité, le suicide, relation parents-enfant, l’entrée illégale dans des partys, c’est un univers qui est construit avec la réalité des jeunes d’aujourd’hui, alors on peut plus croire en l’amour. »
« Pendant le tournage, il y avait Juliette et il y avait Charlotte, deux personnes différentes avec sûrement des points communs, mais deux personnes différentes quand même. J’avais puisé en moi pour faire une Juliette, j’avais façonné une autre âme qui entrait en moi quand la caméra s’allumait. Ça n’a pas été difficile du tout, ni plus facile, c’était juste différent et vraiment intéressant. »
Comment s'est déroulé le tournage avec Yves Desgagnés? « Je n’aurais pas pu souhaiter mieux pour commencer. C’est un être chaleureux, enveloppant, qui est très à l’écoute de ta vision du scénario. Il nous laissait tellement de liberté, on a tellement pu évoluer là-dedans avec tout notre instinct que c’était encore plus merveilleux. Ce film-là n’a pas été fait dans le but de provoquer, mais c’est ça qui arrive quand même. Ça confirme un peu qu’on avait besoin de refaire ce film-là. Ça montre que c’est la réalité des jeunes d’aujourd’hui et qu’il y a des gens qui ont de la misère à l’accepter. Oui, ça part le débat, c’est le but d’un film. Si tu sors d’un film sans te poser de question, ça ne t’emmène pas à en parler avec les autres, ça sert à rien de faire le film. »
« Après la première, le 4 décembre à Montréal, il y a une gang de jeunes qui sont venus me voir pour me dire merci d’avoir reflété ce que tout le monde pense tout bas, la réalité des jeunes, d'avoir eu le guts de mettre à l’écran ce qui se passe réellement. Pour nous, on ne pouvait pas souhaiter mieux. »
« Je suis contente de toutes les polémiques, parce que je vois que ça provoque. Ça me rassure un peu aussi, ce n’est pas le film à l’eau de rose, ça prouve que le film était bien fait parce que ça soulève des questions. »
Thomas Lalonde
« Roméo c’est quelqu’un qui, lorsqu’il veut quelque chose, il va foncer. Dès qu’il va arriver à son but, il ne va pas réaliser qu’il est arrivé. Quand il va trouver Juliette, il va la suivre jusque chez elle, jusqu’au centre de gérontologie – faut avoir du guts pour faire ça! – mais par contre, dès qu’il va la voir, il n’aura aucune parole, parce qu’il va se dire qu’il ne faut pas qu’il fasse de niaiseries. »
« Je suis un peu comme ça. Au départ, dans les auditions, je ne pensais pas l’avoir. J’y suis allé, et à fond, mais dès qu’on a dit que c’était nous, je me suis dit : « Mais dans quoi tu t’embarques? » Je n’avais pas prévu ça. » Comment s'est déroulé le tournage avec Yves Desgagnés? « Yves c’était la meilleure personne pour commencer. Il s’asseyait à côté de nous et il disait : « Qu’est-ce que tu n’aimes pas dans le scénario? Parfait, on le change. » Quand c’est ta première expérience au cinéma et tu sais que tu as un intérêt, tu sens que tu n’es pas là pour rien…»
Le film crée plusieurs polémique, dont le suicide des deux héros. « Le suicide ça reste un sujet tabou, on n’en parle pas tant que ça. Au Québec, il y en a beaucoup. Tout le monde connaît quelqu’un qui connaît quelqu’un qui s’est suicidé, c’est jamais évident. Je pense que ça rejoint les jeunes parce qu’il peuvent s’associer à Roméo et Juliette. »
« Ils peuvent s’associer parce que ce n’est pas un acteur de 25 ans qui joue un personnage de 15 ans. Et puis peut-être aussi le fait que ce soit deux visages inconnus - parce qu’on est des nobody là, on va se le dire - et on n’avait pas d’expérience non plus. Ça touche les jeunes parce qu’il y a la première fois qu’ils font l’amour, il y a même une question d’homosexualité là-dedans avec Louki. Des sujets dont on ne parle pas beaucoup, les professeurs ont l’impression d’en parler mais il ne développent pas. Je pense que ça va faire réfléchir.»
Comment vois-tu l'avenir, souhaites-tu poursuivre une carrière dans le cinéma? « J’ai eu la chance de tourner dans un autre film, un film de Carole Laure, La capture, avec Catherine de Léan, Pascale Bussières, Laurent Lucas.C’est un projet complètement à l’opposé de Roméo et Juliette. Ça a vraiment allumé une flamme et j’aimerais vraiment continuer dans le domaine du cinéma ou des communications. »
Roméo et Juliette prend l’affiche dès demain, le 15 décembre.