On peut probablement tout reprocher à Cloverfield. C’est vrai, même si j’ai grandement profité de l’expérience cinématographique unique qu’il offre, je peux comprendre que quelqu’un n’apprécie pas les films de monstres et n’y ait pas trouvé tout l’agrément qu’il souhaitait. Je peux accepter qu’on pense que les personnages sont mal définis et les acteurs mal dirigés. À la limite, je pourrais même comprendre qu’on soit déçu de retrouver dans le film si peu d’explications sur les origines et intentions de ce monstre aux allures de Godzilla qui décide de s’arrêter pour un week-end à New York et de s’approprier les plus célèbres monuments de la ville comme le font tant de jeunes lors du congé scolaire. Ça, je peux le concevoir.
Mais il est profondément invraisemblable, et il faut avoir un manque flagrant de conscience cinématographique pour prétendre que Cloverfield est « mal filmé ». L’image ne bouge pas par accident, les créateurs n’ont pas été forcés d’utiliser ces images parce qu’ils n’en avaient pas d’autres. Tout ça fait partie de l'univers du film, autant que le fait la musique habituellement (d'où vient-elle, d'ailleurs, cette damnée musique au cinéma, elle ne vient certainement pas de l'intérieur du film... quel manque de réalisme!). Chaque plan est conçu spécialement pour donner une impression de réalité qu’on recherche au cinéma depuis des décennies et qu’on n’atteint que partiellement. Le spectateur, installé dans la salle de cinéma avec son popcorn, regarde une casette retrouvée par le gouvernement américain dans un lieu « anciennement connu sous le nom de Central Park », voilà la base du film, voilà ce qu'il faut respecter. Si on voyait la caméra, si on voyait la personne qui la tient, si on voyait quoi que ce soit que les personnages ne peuvent pas voir, cela briserait l'illusion et Cloverfield serait un mauvais film.
Le cinéma est une illusion lorsqu’il prétend raconter en deux heures la vie de quelqu’un. Et même lorsqu’il est tiré d’un fait vécu, il est un fieffé mensonge qui manipule le spectateur et modifie la réalité. Ce n'est pas moins le cas ici, c'est simplement moins apparent. Le « temps réel » de l'intrigue est crédible, les lieux aussi.
Cloverfield est le fruit d’une recherche théorique impressionnante et offre aussi un divertissement puissant. Il fallait que les scénaristes parviennent à rendre crédible cette mise en abîme inhabituelle, et d’enregistrer les images du présent sur une casette déjà utilisée ouvre tout un espace temporel supplémentaire qui rend plus crédible les réactions (exacerbées, certes) du personnage principal. L’extrême précision des plans permet une économie de moyens et réduit le nombre - déjà impressionnant – d’effets spéciaux, sans nuire au climat de danger et de mystère. Bien sûr, l’image bouge tout le temps, quelqu’un tient la caméra dans le récit, dans le film. Et il est poursuivi par une créature de trente étages de haut, alors bien sûr qu’elle bouge beaucoup. Question de – et je le dis du bout des lèvres - réalisme!
Je n’arrive pas à concevoir non plus qu’on suggère d’attendre la sortie en vidéo (d’ailleurs, les vidéos n’existent plus depuis des années, on regarde des DVD maintenant). Comment apprécier un film qui demande une telle immersion sur un petit écran de salon? Comment profiter de l’ambiance sonore, essentielle au récit comme c’est si souvent le cas, entre les cris des enfants et la sonnerie du téléphone? Impossible. Cloverfield doit se voir sur grand écran.
Et pour les maux de coeur, on repassera. Je soupçonne le popcorn bien avant l'image agitée du film pour expliquer les épidémies de malaises et autres maux de tête. Sinon, c'est de la simple mauvaise foi.