Après une excellente performance au dixième gala des Jutra de dimanche dernier, le film Continental, un film sans fusil (reparti avec quatre trophées) est de retour sur les écrans aujourd’hui. Cela ne fera pas de mal à Christal Films, qui a des difficultés financières, et c’est un honneur bien mérité pour toute l’équipe du film qui a travaillé très fort, dans un contexte de production difficile (on le répète, mais c’est vrai), et aussi pour les producteurs Luc Déry et Kim McCraw, qui ont remporté, pour la deuxième année de suite, le Jutra du meilleur film (c’était Congorama l’an dernier).
Mais il y a un problème. Le film sera présenté dans huit salles à travers le Québec (Cinéma Beaubien, Quartier Latin, Mégaplex Guzzo Pont-Viau, Cinéplex Brossard, Cinéma Beloeil, Cinéplex Ste-Foy, Lido à Lévis et la Maison du Cinéma à Sherbrooke) et les gens, des spectateurs curieux de voir ce film qui a été sacré « le meilleur film québécois de 2007 », iront le voir, remplis de bonne volonté et même d'excitation, et ils ne l’aimeront pas.
Lorsque No Country for Old Men a reçu l’Oscar du meilleur film, le 24 février, le film venait d’amasser 2,4 millions $ aux guichets nord-américains dans 1 101 salles. Il enchaînait les prix d’associations professionnelles, les critiques étaient favorables, le public présent mais modeste. La fin de semaine suivante, le film était à l’affiche dans 2 037 salles (près du double) et a amassé 4,1 millions $. Tout ça à sa dix-septième semaine à l’affiche; en clair, une bonne performance directement liée à l’Oscar. Depuis, les commentaires négatifs et l’incompréhension se succèdent chez les spectateurs curieux - les mêmes qui iront voir Continental, un film sans fusil au Québec cette fin de semaine – qui voient le film des Coen et qui n’y comprennent rien : comment un film avec une fin aussi moche peut-il plaire? comment tant de violence gratuite peut-elle séduire? No Country for Old Men est un navet, un mauvais film, j’aurais dû jeter mon argent dans le feu.
C’est malheureusement la même chose qui arrivera à Continental, un film sans fusil, et ce n’est pas mérité. Le public qui le trouvait déjà lent sera excédé, frustré peut-être, devant le subtil portrait d’humains, des vrais, qu’il propose. Le travail rigoureux sur le son sera ignoré, la justesse des dialogues occultée par les prix reçus dimanche qui ne font pas de Continental un film plus accessible. On parlera même peut-être de mauvais scénario ou de mauvaise réalisation, ce qui ne rendra pas justice au travail des artistes derrière le film. On a invoqué le mépris du milieu cinématographique pour expliquer la déconfiture des 3 p’tits cochons (le film ne méritait quand même pas ce sort cruel), mais ce mépris, s’il existe, se confirmera cette fin de semaine à la sortie des huit salles qui présenteront le film.
Il y a un public pour ce type de longs métrages; il était au rendez-vous depuis la sortie film en novembre, les festivals ont apprécié Continental, au Québec, il a amassé 140 221 $ à ce jour – c’est trop peu, mais c’est comme ça. Dans un monde où le popcorn, la rapidité, les émotions préfabriquées et le divertissement prévalent sur la curiosité et l’ouverture d’esprit, cela ne peut être autrement. Et ça, ce n’est pas du mépris, c’est de la clairvoyance. Et vous pouvez croire que tout ce que je demande, c'est de me tromper.